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compte-rendu des séances de l’assemblée nationale et de la convention ; les étudians faisaient des démonstrations publiques dont le sens était des plus clairs, et qui provoquèrent plus d’un conflit entre eux et les émigrés de Tubingue. Hegel, qui dans la suite n’eut jamais la parole facile, était un des orateurs ordinaires du club et passait pour un jacobin violent ; ses cahiers de cette époque sont pleins d’épigraphes héroïques et de symboles républicains. Schelling et lui faisaient partie d’une bande d’étudians qui, en 1793, à l’anniversaire de la fondation de la république française, allèrent planter un arbre de la liberté dans un pré non loin de la ville. Hœlderlin était plein des mêmes idées, et, associant en pensée son culte pour l’antiquité grecque et son admiration pour les vainqueurs républicains du 10 août, quand il se séparait de ses amis, il ne manquait jamais de leur jurer fidélité « par ceux qui étaient tombés à Marathon. »

Tandis que la révolution française communiquait à l’Europe, par l’admiration d’abord et bientôt par l’épouvante, un ébranlement si profond, une autre agitation plus secrète, d’un ordre tout intellectuel et d’une origine purement nationale, créait une Allemagne philosophique et littéraire dont la grandeur improvisée allait former un frappant contraste avec l’affaissement du vieil empire germanique. À ce moment, pour la première fois le génie allemand se reconnaissait dans celui de deux grands hommes qui associaient pour une lâche commune les facultés les plus différentes ; dans des œuvres multipliées, ils posaient les indestructibles assises d’une littérature indigène et pourtant supérieure aux diversités de religion, de gouvernement et de mœurs, d’une littérature humaine faite d’inspiration hellénique et de sentimens modernes, préparée pour servir de levier moral à un peuple ébranlé dans sa foi séculaire, pour lui offrir un centre commun et le consoler de l’oisiveté politique à laquelle il était condamné.

L’admiration de la Grèce, commune à tous les promoteurs de cette grande rénovation littéraire et qui atteint dans Hœlderlin son paroxysme, n’était pas même alors chose absolument nouvelle. C’est à ce flambeau que s’était allumé en Italie le génie de la renaissance ; le théâtre français, au XVIIe siècle, s’inspirait du même sentiment, et, quoique discréditée par les abus d’une imitation servile, la Grèce trouvait encore chez nous à la fin du XVIIIe un de ses plus gracieux interprètes, André Chénier. Cette admiration a en Allemagne toute une histoire, Wieland est le premier représentant d’un paganisme épicurien, où l’on sent la gaucherie d’un homme fraîchement émancipé de ses premières habitudes sentimentales et piétistes. Ses grâces lourdes trahissent à chaque pas les méprises