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par un philtre, ne se soit pris d’amour pour elle, et n’ait, souvent sans le savoir, protesté à sa manière contre l’irrévocable arrêt porté par le destin.

Il semblerait que cette réaction païenne n’a été d’abord qu’une fantaisie poétique. Tout le monde sait par cœur les vers de Rolla, écrits il y a plus de trente ans :


Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux ?


Il s’est formé depuis lors en France et ailleurs[1] toute une école qui s’est flattée un moment de retrouver dans les mythes du paganisme pour la poésie épuisée une fontaine de Jouvence. Elle s’attachait à comprendre les fables antiques, à les interpréter poétiquement, s’efforçant de fondre la pensée moderne avec ces intuitions primitives, cherchant de bonne foi dans ces obscurs symboles une sagesse et des révélations qui les transformaient presque en vérités éternelles. Ce ne fut là certainement pour quelques-uns qu’un thème littéraire ; on a vu plusieurs de ces païens d’un jour abjurer leur erreur et rentrer avec plus ou moins d’éclat dans le giron de la foi maternelle. Il n’en est pas moins vrai que ces essais de réhabilitation poétique des mythes païens prouvent que, dans la pensée de ceux qui les ont tentés, le paganisme était déjà plus d’à moitié réhabilité. Pour interpréter ainsi la Grèce, il faut l’aimer, et il est permis de croire sans exagération que ce culte était mélangé de quelque regret et accompagné parfois d’un retour sévère et attristé sur les conditions de la civilisation nouvelle.

Les travaux récens et passionnés dont la Grèce a été l’objet expliquent jusqu’à un certain point cette recrudescence de sympathie. Dans ce siècle qu’une curiosité cosmopolite entraîne dans toutes les régions de l’histoire humaine, aucune n’a été fouillée avec plus d’ardeur : art, poésie, philosophie, institutions politiques et religieuses, tout ce qui la concerne a été remis à l’étude, examiné plus à fond, éclairé de lumières empruntées à la connaissance nouvelle des choses de l’Orient. De ces travaux critiques, la Grèce est sortie plus éblouissante encore et comme rajeunie ; il n’est pas surprenant que notre admiration pour elle en ait grandi, et que, séduits par ce redoublement d’éclat, beaucoup d’esprits se soient mis à helléniser. Pourtant, si l’on y regardait bien, on trouverait d’autres raisons et de plus sérieuses pour rendre compte de cette disposition singulière. Accoutumés de bonne heure à

  1. Voyez dans la Revue du 15 mai un article sur la Poésie païenne en Angleterre, par M. Étienne.