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c’était un acheminement vers l’organisation qui a prévalu de nos jours. Le patriarche avait la présidence des deux conseils ; mais dans les cas majeurs de l’administration ou religieuse ou civile il était tenu de prendre leur avis et d’avoir leur adhésion. En outre il cessait de remplir auprès de la Sublime-Porte le rôle d’intermédiaire légal de ses compatriotes. Ces fonctions, qui avaient été toujours inhérentes à la dignité patriarcale, furent confiées à un logothète, chargé en même temps de faire exécuter les décisions du conseil civil. Le firman impérial qui approuva ces changemens fut donné le 9 mars 1847.

Le pas fait en avant était immense, la réforme s’annonçait comme radicale ; la nation avait conquis le droit de nommer ses chefs et ses représentans. Néanmoins elle ne se montra pas d’abord trop impatiente d’user de ce droit. Ceux qui avaient à regretter le passé et les privilèges qui leur avaient été arrachés se résignèrent facilement quand ils virent que par le fait la transformation consistait beaucoup plus dans les mots que dans les choses. Était-ce modération raisonnée ou indifférence de la part du peuple ? Il faut bien le dire, la caste des privilégiés, jusque-là tranquille dans son omnipotence, avait une nombreuse clientèle dont les votes lui étaient acquis, et qui lui assurèrent pour les années suivantes la majorité et la prépondérance dans le conseil civil. Le dénoûment semblait avoir trompé les craintes des uns et l’attente des autres ; l’idée n’était pas encore venue aux prolétaires de faire usage de la faculté qui leur avait été concédée. Leur inexpérience politique devait retarder jusqu’en 1880 un triomphe qui déjà dépendait de leur volonté ; quelques hommes seulement comprirent ce qui devait résulter du suffrage populaire mieux éclairé.

Déjà en 1848 les notables purent s’apercevoir que la nation, qui leur laissait encore l’exercice du gouvernement, prenait goût à ces nouveautés ; ce fut à l’occasion du remplacement de Mgr Matthieu. On a vu que ce prélat avait introduit dans le conseil les représentans des corporations. Ses adversaires, pour le punir, s’étaient efforcés d’amoindrir son autorité : ce n’était pas assez pour eux, ils prétendirent lui imposer sa démission ; mais ils se trouvèrent prévenus par les événemens, qui prirent une tournure inattendue. Le patriarche, à bout de patience, avait résolu d’abdiquer ; il convoqua les deux conseils dans l’église de Notre-Dame, à Koum-Kapou[1], et la foule y accourut à flots pressés. Lorsqu’il annonça du haut de la chaire qu’il résignait ses fonctions, des cris tumultueux retentirent

  1. Quartier de Constantinople où s’élève, à côté de Notre-Dame, la résidence patriarcale.