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somme proportionnée à sa fortune. Ils ne furent généreux qu’en paroles ; à peine ouvert, l’établissement se trouvait à bout de ressources. Le patriarche, Mgr Jacques, essaya de battre monnaie au moyen d’un impôt dont il avait conçu l’idée. Comme tout Arménien qui veut quitter Constantinople n’obtient son passeport de la Sublime-Porte que sur la recommandation écrite du patriarche, une taxe de cinq piastres[1] fut mise sur ces certificats. Cet expédient financier ne fut pas très productif. Malgré les regrets de tous, la chute du lycée semblait inévitable et imminente.

À cette cause de mécontentement vinrent s’en ajouter bien d’autres ; l’irritation devenait générale et profonde. On entendait répéter partout que le mauvais vouloir et la mésintelligence des membres du conseil suprême étaient un obstacle aux réformes et au progrès. C’est dans ces conjonctures que Mgr Jacques eut recours à une mesure dont les notables ne parurent pas d’abord comprendre toute la portée. Le caisse nationale était à sec ; pour fournir à l’entretien des établissemens de la communauté, hospices, écoles, etc., il proposa de frapper un impôt sur les corporations, de nommer un comité de vingt-quatre membres choisis parmi elles, et de le charger de contrôler les recettes et les dépenses. C’était une innovation assez hardie, et il ne fallait pas beaucoup de perspicacité pour prévoir que la nation, une fois engagée dans ces essais de self-government, élèverait d’autres prétentions. Il est vrai que les débuts du comité des vingt-quatre ne furent pas heureux. Il avait demandé l’adjonction à sa liste de six notables afin de les associer à ses délibérations, on lui opposa un refus dédaigneux, — que toutes les personnes jouissant d’une aisance notoire contribuassent par leurs dons à la dépense que les écoles occasionnaient, on promit d’abord, plus tard on se rétracta. On se faisait un malin plaisir de voir les corporations abandonnées à elles-mêmes se débattre contre d’insurmontables difficultés. Aussi le comité, à peine éclos et entré en fonction, prononça-t-il spontanément sa dissolution. Elle fut suivie bientôt après de la démission de Mgr Jacques (novembre 1840). Ce prélat était profondément découragé par la pensée que le lycée de Scutari, dont la création lui avait coûté tant d’efforts et de sollicitudes, était sur le point de périr. Les faibles ressources, entre autres la taxe sur les passeports, affectées au budget de cet établissement en furent détournées par les notables pour être attribuées à l’hospice national. Le directeur du lycée et les professeurs aux abois adressèrent leurs doléances à la Sublime-Porte ; les élèves signèrent une

  1. 1 fr. 25 cent, de la monnaie française. La piastre à cette époque valait 0,25 : aujourd’hui elle doit être calculée BUT le taux de 0,20.