Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Arméniens, Leur esprit compréhensif et entreprenant, leur aptitude aux affaires, leur habileté dans le maniement des finances, leur probité traditionnelle, les ont fait apprécier des Ottomans, et leur ont valu de leur part une confiance presque illimitée. Sous des apparences modestes, ils ont une influence réelle dans l’empire. Une foule d’entre eux servent avec zèle et fidélité les différentes administrations dont ils font partie. Amis du progrès, ils ont été conduits les premiers à se donner, avec l’agrément de la Sublime-Porte ; une constitution où est inscrit à chaque ligne le principe de l’égalité de tous, et qui soumet l’élection de leurs chefs religieux ou civils à la décision du suffrage universel.

L’instruction publique basée sur l’enseignement gratuit ; les institutions charitables, les associations de secours mutuels, ont pris racine parmi eux et se propagent rapidement ; la presse périodique compte des organes dont la voix se fait de plus en plus écouter ; un mouvement scientifique et littéraire s’est manifesté, ayant pour ressort principal l’imitation à la fois instinctive et raisonnée des modèles que la France leur fournit.

Les progrès des Arméniens ont été sensibles depuis qu’a été promulgué en 1839 le tanzimat, la charte d’affranchissement des communautés chrétiennes de la Turquie. Je voudrais essayer de raconter ces progrès et de faire pressentir ceux que réserve l’avenir à une petite nation, jadis compacte et glorieuse, aujourd’hui fractionnée et dispersée de tous côtés, mais qui a su conserver sa primitive physionomie et ses excellentes qualités natives dans tous les pays où elle a trouvé l’hospitalité, et devenus pour elle une seconde patrie.


I

La population arménienne de la Turquie s’élève à 3,400,000 âmes environ, réparties dans les différentes provinces asiatiques ou européennes, mais principalement en Asie. Dans la seule ville de Constantinople, elle est représentée par 30,000 familles, qui, comptées d’après une moyenne de cinq personnes par famille, produisent un total très approximatif de 150,000 habitans. Le courant d’immigration qui a entraîné les Arméniens dans la Turquie fut déterminé dans l’origine par les invasions réitérées qui désolèrent leur pays. Ils s’habituèrent dès les Xe et XIe siècles à aller chercher dans l’empire grec la sécurité qui manquait à leurs foyers ; une foule d’entre eux se mit au service de la cour de Byzance, et plusieurs y firent une brillante fortune. Ils accoururent avec, non moins d’empressement vers le conquérant de Constantinople, Mahomet II, dont