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ladite terre jusques à la somme de 96,000 livres tournois. » Là-dessus on déduirait les arrhes que la pauvre Louise de Vaudemont avait avancées jadis en vendant ses bijoux ; le reste de la somme devait être payé en trois termes, fort rapprochés du jour de l’adjudication définitive.

Tout cela était fort bien ; mais quand aurait-elle lieu, cette adjudication ? en dépit de toutes les conventions et de tous les accommodemens, les choses traînèrent encore quatre années. De remise en remise, de surenchère en surenchère, on arriva jusqu’à la fin de 1606. Alors seulement Mme de Mercœur, ayant mis sa dernière enchère à 96,300 livres, se vit maîtresse du champ de bataille ; alors seulement fut prononcé par la cour l’arrêt qui fixait irrévocablement le sort de Chenonceau, « en adjugeant, livrant, baillant et délivrant à Marie de Luxembourg, duchesse de Mercœur et de Penthièvre, comme plus offrand et dernier enchérisseur, le château, fief, terre et seigneurie de Chenonceau, appartenances et dépendances quelconques. »

Quelques mois auparavant, un autre arrêt du parlement de Paris avait enlevé au comte d’Auvergne, héritier choisi par la reine-mère, les comtés d’Auvergne, de La Tour et de Lauraguais, et les avait donnés à Marguerite de Valois, que sa mère n’avait même pas nommée dans son testament. Voilà donc ce qu’étaient devenues les dernières volontés de Catherine. Ce qu’elle avait destiné implicitement à satisfaire ses créanciers, c’étaient les ligueurs qui en avaient joui. Ce qu’elle avait laissé à son petit-fils naturel, le bien-aimé de son cœur, c’était sa fille, la femme d’un gendre détesté, qui s’en était emparée. Enfin ce Chenonceau qu’elle avait prétendu mettre hors des atteintes de ses créanciers, ce château tant aimé, dont elle avait voulu fixer le sort, il avait été pendant des années en proie aux huissiers et aux hommes de loi, il avait été le seul gage qui, n’eût pas échappé aux créanciers frustrés de tout le reste ; il avait seul empêché que la succession de la reine Catherine aboutît, après dix-sept années, à une banqueroute tout à fait complète.


V

Nous pourrions laisser ici Chenonceau, car le reste de sa vie n’offre plus de ces aventures extraordinaires pour lesquelles il semblait être né. Plus de brusques changemens de fortune plus de personnes royales se disputant sa possession, plus d’infortunes ou de grandeurs éclatantes ; il n’échappe pas aux inconstances du sort, il a de bonnes ou de mauvaises chances, des alternatives de bonheur ou de détresse, mais sans bruit, obscurément, comme tout