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eux aussi dans leurs gages ; mais un autre y rentra à leur place. Ce fut Marguerite de Valois, qui, après avoir d’abord abandonné la succession de la feue reine, où elle ne voyait que dettes à payer, se ravisa au bon moment, se fit adjuger par le parlement, comme propres maternels, les comtés d’Auvergne, de la Tour et de Lauraguais, mais ne paya pas pour cela un sou des dettes de sa mère ; si bien qu’en somme la liquidation de cette succession royale dura dix-sept années, passa par mille péripéties, et aboutit finalement à quoi ? à une banqueroute, à une véritable banqueroute. Ce n’est là que le gros de l’affaire ; mais c’est assez pour nous peindre l’époque.

Au surplus, restons à Chenonceau. Sa part d’aventures, au milieu de ces désordres, n’est ni la moins curieuse, ni la moins édifiante. La reine Louise mit bientôt à profit le legs de sa belle-mère ; elle vint s’installer dans son nouveau domaine ; mais ce ne fut pas pour y apporter la joie et les plaisirs. Henri III venait de tomber sous le couteau de Jacques Clément, et sa veuve désolée avait la bonté d’âme de le pleurer sincèrement. Chenonceau dut s’accommoder à la douleur de sa nouvelle maîtresse. Plus de fêtes, plus de galanteries, plus de plaisirs bruyans. La tristesse et le silence devinrent les hôtes du château. Partout les devises funèbres remplacèrent les inscriptions galantes, partout les tentures brillantes firent place aux draps noirs semés de larmes d’argent, et les emblèmes mythologiques disparurent sous les attributs de la mort. On voit encore à Chenonceau les traces de ce deuil profond et, chose rare, aussi sincère que démonstratif. Cette petite chambre contiguë à la chapelle, tout attristée encore par ces fauteuils et ce petit lit tendu de noir, et d’où l’on n’entend que le bruit monotone du fleuve qui bat les piles du pont, c’était la chambre de la reine Louise. C’était là qu’elle consacrait le reste de sa vie au culte de Dieu et à la mémoire de celui qui l’avait toujours dédaignée. C’est une aimable et douce figure que celle de Louise de Vaudemont. Dans ces temps agités par tant de passions mauvaises, on éprouve en la rencontrant je ne sais quelle impression de repos et de calme. Ce qui attire en elle, ce n’est ni l’éclat d’un grand esprit, ni la profondeur d’un génie politique ; c’est un parfum de vertu modeste et résignée. La douceur, la bonté, la fidélité, voilà ses séductions. On ne peut s’empêcher de l’aimer pour son attachement inviolable à cet indigne mari, et aussi pour sa charité si rare à cette époque égoïste et corrompue. A Chenonceau, elle était la providence des malheureux et des souffrans, et longtemps les paysans gardèrent le souvenir de « la bonne reine blanche. » Dieu sait pourtant que la pauvre Louise n’avait guère de superflu. Dans une lettre adressée par elle au parlement le 20 juillet 1592, elle supplie qu’on lui règle au plus tôt son douaire, « afin de sortir de la misère où elle est. » Le