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qu’était à cette époque le contrôle de la chambre des comptes. Il y avait bien quelques ordonnances de Louis XII prescrivant de rechercher les gens de finances pour leur administration en Italie ; mais jusque-là ces ordonnances étaient restées lettre morte. Bohier mourut juste à temps pour n’être pas troublé. Ce fut son fils aîné, Antoine Bohier, qui, en héritant de ses honneurs et de sa charge, hérita en même temps de longs et graves embarras.

Le moment était mauvais pour entrer en fonction. On était au beau milieu des désastres d’Italie. Le trésor était vide, le peuple accablé d’impôts, les troupes réclamaient de l’argent ; François Ier songea à faire rendre gorge aux percepteurs de l’impôt, et l’année même de la mort de Bohier une ordonnance royale vint presser l’exécution des ordonnances de Louis XII. Le pauvre Antoine Bohier se trouva sur les bras la tâche de justifier la gestion paternelle, et dut rendre les comptes que son père avait peu ou point rendus. Ce ne fut pas petite affaire. Il paraît que dès cette époque l’administration procédait avec une sage lenteur : la liquidation dura sept années. Pour avoir été longue, elle n’en fut pas plus profitable au nouveau général des finances.

Lorsqu’en 1531 le tribunal institué à la tour du Louvre rendit enfin son arrêt, Antoine Bohier se trouva du chef de son père débiteur envers le trésor de 190,000 livres tournois. Ce chiffre ferait sourire un banquier de nos jours. En ce temps-là, c’était une fortune entière, et pour les Bohier il y allait d’une ruine presque complète. Ce fut Chenonceau qui les sauva d’un désastre total. François Ier, avec ses goûts élégans, avait été, lui aussi, séduit par Chenonceau. Il désirait, suivant ses propres expressions, « cette belle place et maison assise en beau et plaisant pays. » Antoine Bohier profita de ce caprice. Au mois de mai 1535, il obtint une transaction par laquelle, en abandonnant au roi la terre et seigneurie de Chenonceau et quelques autres valeurs, il obtenait remise de toutes les sommes dues par son père. De part et d’autre on jura sous les sermens les plus solennels de ne jamais revenir sur cette transaction. Le roi y engagea sa parole royale. Bohier put croire qu’il était tranquille pour toujours !

Quant à François Ier, son caprice n’eut pas longue durée ; ce grand amour n’alla même pas jusqu’à meubler le château. L’inventaire qui fut fait à la mort du roi, en 1547, montre qu’évidemment ce n’était pas à Chenonceau qu’il faisait des folies. Le mobilier de la chambre royale, un des plus complets, était ainsi composé : « une table de noyer, ung buffet de noyer a ouvraige plain, huit escabeaulz dont y en a ung rompu, deux lendiers de fer a troys chenets chacun, auxquelz n’y a aulcunes chauferettes. » Tel fut le luxe de Chenonceau pendant les douze années qu’il appartint à