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Né vers 1450, d’une vieille famille bourgeoise d’Auvergne, Bohier était par sa mère proche parent du chancelier Du Prat. Par son mariage avec Catherine Briçonnet, fille de Guillaume Briçonnet, qui fut plus tard cardinal-évêque de Saint-Malo, et de Raoulette de Beaune il devint le neveu du surintendant des finances Jacques de Beaune Semblançay. Il tenait donc aux plus illustres de ces familles nouvelles qui envahissaient la justice, les finances et l’administration. Puissant par sa parenté, Bohier ne l’était pas moins par sa charge. Ce n’était pas alors un mince personnage qu’un général des finances. Qu’on se figure ces souverains de l’impôt, exempts de toute taille, placés, dit une ordonnance de François Ier, immédiatement sous la sauvegarde royale, maniant les deniers publics sans autre contrôle que l’aveugle surveillance de la chambre des comptes, disposant à leur gré de la fortune des contribuables, disposant même de leurs vies, puisqu’ils étaient armés par le pouvoir royal d’une force militaire imposante qui au besoin les aidait à vaincre leurs débiteurs. Voilà le pouvoir dont était revêtu Bohier, et il en jouissait plus sûrement qu’aucun autre, puisqu’il ne le partageait qu’avec des parens ou des alliés de sa famille, avec son frère Henri Bohier, avec son oncle Pierre Briçonnet, avec ses cousins Florimond Robertet, Pierre Legendre, Louis de Poncher. Une seule famille maniait donc la fortune publique ; c’était comme un canal unique où devait forcément passer tout l’argent du royaume, et sans doute il n’y passait pas sans acquitter quelque droit de péage. Qu’on s’étonne après cela des haines des contemporains et des accusations de l’histoire ! Il faut pourtant le reconnaître, ces hommes, chez qui nous ne voyons qu’avarice et rapacité, ont fait de grandes choses et contribué à la gloire de leur pays. S’ils se sont enrichis, du moins n’ont-ils pas employé leurs richesses à des satisfactions sans honneur ; si leur conscience n’a pas été toujours pure, leurs goûts ont été nobles. Ils ont aimé et favorisé les arts, attiré et fait naître les artistes. Ces monumens, ces châteaux, ces sculptures, ces verrières que nous admirons, ce sont eux en partie qui en ont doté nos villes, nos provinces, nos églises. C’est à eux non moins qu’aux François Ier et aux Henri II que nous devons la renaissance des arts en France ; ils ne l’ont pas seulement acceptée et favorisée, ils l’ont provoquée, développée, dirigée. Je dirai plus, ils l’expliquent, ils en sont la raison suffisante, de même que la féodalité explique les forteresses à créneaux et à mâchicoulis. Pour ces hommes nouveaux, répandre partout les marques de leur munificence, créer des monumens splendides, se bâtir des résidences princières, c’était le meilleur moyen de répondre aux dédains des vieux nobles, de narguer leurs donjons antiques et délabrés.