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ses envoyés. N’est-il pas évident en effet que l’auteur expliquerait d’une manière toute semblable le sort de Babylone épargnée par Cyrus, quoique les nâbis eussent prédit formellement qu’elle serait saccagée et rasée ? Et ce besoin de faire l’apologie du prophétisme, tout en abandonnant à la critique le caractère personnel des prophètes, ne dénote-t-il pas cet état des esprits, cet ébranlement de l’ancienne confiance, que nous avons signalés dans l’opinion des Juifs après leur retour de Babylone ? Que l’auteur ait utilisé, pour en composer son récit, quelque vieille tradition plus ou moins légendaire se rattachant au nom de Jonas ben-Amittaï, un vieux prophète qui vivait au temps de Jéroboam II, roi d’Israël[1], cela est possible, mais au fond n’importe guère. Le moindre souci de l’auteur a été de raconter des événemens réels, il a enseigné ce qu’il croyait vrai sous la forme qui lui a paru la plus convenable. Ainsi compris, ce bizarre petit livre mérite bien qu’on s’y arrête. Il atteste la décadence du prophétisme et aussi un progrès marqué de l’idée religieuse. Il suppose que des étrangers peuvent être, comme des Israélites, l’objet des compassions divines. Voilà du nouveau dans l’Ancien Testament et le germe de cet universalisme religieux que le christianisme devait proclamer plus tard.

En résumé, le prophétisme d’Israël est la manifestation la plus frappante de l’une des tendances de l’esprit humain, et doit sa supériorité bien moins à ses prédictions merveilleuses qu’aux grandes idées religieuses et morales que le monothéisme, auquel il se rattache, lui a donné à défendre et à développer. Toutefois ses conditions intellectuelles, politiques et sociales d’existence ne pouvaient avoir qu’un temps, et il ne pouvait leur survivre. De cette manière impartiale d’envisager ce remarquable phénomène ressort un fait trop longtemps ignoré, c’est que les livres prophétiques de l’Ancien Testament sont des documens historiques de premier ordre, reflétant bien mieux que des histoires proprement dites les mœurs, les idées, les croyances, les passions, les événemens qui les ont inspirés. Nos lecteurs en pourront juger dans l’étude qui doit suivre et où nous tâcherons de préciser ce que les théories précédentes peuvent encore avoir de vague en les appliquant à l’un des livres les plus célèbres du recueil prophétique. Ce livre d’ailleurs nous fournira l’occasion de rapprocher de l’histoire d’Israël tirée des prophéties les

  1. On peut voir que le cantique (II, 3-10) chanté par Jonas dans les entrailles du grand poisson ne concorde pas avec la situation supposée. C’est proprement le chant de reconnaissance d’un naufragé échappé à grand’peine à la fureur des flots. Il existait sans doute des chants de ce genre à l’usage des riverains de la Méditerranée. Ne serait-ce pas le cantique dit de Jonas qui aurait servi de noyau à quelque légende maritime amplifiée ensuite par l’auteur du livre de ce nom ?