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Tarsis ; puis, poursuivi par la tempête, jeté à la mer par l’équipage, qui voit dans sa présence à bord la cause de la tourmente, il est englouti par un monstre marin, dans les entrailles duquel il reste vivant trois jours et trois nuits. Au bout de ce temps, le poisson le rejette sur le rivage, et alors il n’ose plus « fuir devant Dieu. » Il se rend donc à Ninive, qu’il traverse en criant le long des rues : « Dans quarante jours, Ninive sera détruite ! » Effrayés par cette menaçante prédiction de l’homme de Dieu, les Ninivites, leur roi en tête, prennent le sac, se couvrent de cendre, eux et leur bétail, s’astreignent à un jeûne rigoureux dans l’espoir de détourner la colère divine, et cela réussit, car Dieu, touché de leur repentir, ne met pas son dessein à exécution. Cette miséricorde déplaît à Jonas, qui est furieux de voir ses prédictions démenties, et il faut que par un nouveau miracle Dieu lui fasse comprendre qu’il était juste d’avoir pitié de cette immense ville, dont les habitans sans doute étaient coupables, mais qui renfermait dans ses murs un si grand nombre d’enfans et d’animaux innocens.

Voilà encore un de ces récits de l’Ancien Testament qui ont transporté d’aise la critique voltairienne, laquelle ne s’est guère donné la peine de chercher ce que tout cela pouvait bien vouloir dire. Il est certain que ceux qui voudraient maintenir la réalité historique de ce tissu d’impossibilités ne sont point justiciables d’un autre tribunal. Sans s’arrêter au séjour du prophète dans le ventre du poisson, la seule idée que les Ninivites, si infatués de leur puissance et de la supériorité de leurs dieux nationaux, auraient attaché une pareille importance aux prédictions d’un inconnu prêchant au nom d’une divinité étrangère est d’une invraisemblance telle qu’elle dispense de toute autre démonstration. Se figure-t-on les Parisiens faisant tout à coup pénitence publique parce qu’un marabout du Maroc sera venu leur faire peur de la colère d’Allah[1] ! Mais laissons de côté la question de vraisemblance. Il est visible que les lecteurs du récit doivent y puiser un double enseignement. Le premier, c’est que le caractère peu édifiant de certains prophètes n’est pas une raison suffisante pour rejeter leur message, qui souvent leur est imposé par Dieu malgré leurs efforts pour se soustraire à ce mandat ; le second, c’est que Dieu peut avoir des raisons supérieures, à nous inconnues, pour revenir sur une résolution qu’il avait d’abord fait proclamer par

  1. Il ne faut pas alléguer ici l’usage remarquable que Jésus fait (Matt., XII, 39, suiv., Luc, XI, 20) de l’histoire de Jonas. Il n’est nullement question en cet endroit de la crédibilité historique de ce récit, il s’agit uniquement de savoir si, au point de vue de la religion d’Israël, un prophète doit nécessairement faire des miracles pour accréditer sa mission.