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ne reparut qu’à l’aube de l’ère chrétienne. Jean-Baptiste avec sa prédication ardente, ses colères, ses menaces, son attitude vis-à-vis d’Hérode, descend en droite ligne d’Élie. Jésus est prophète aussi, et c’est même sous ce nom qu’il a été le mieux accueilli ; mais cette résurrection du prophétisme coïncide avec sa transformation en religion nouvelle. Le judaïsme ultérieur a vécu du scribe, du légiste, du théologien ; il n’a plus eu de grands prophètes.

Cette décadence du prophétisme après le retour de la captivité s’explique par plusieurs causes. D’abord toute littérature a un champ déterminé à parcourir, une veine à exploiter, et cette veine, quand elle est épuisée, ne se reforme plus ; puis nous avons vu qu’il fallait au prophétisme une jeunesse, une vivacité de sentiment que la réflexion ne pouvait que refroidir, et l’âge de la réflexion circonspecte était venu pour le peuple d’Israël. L’expérience avait prouvé qu’il ne suffisait pas de se dire prophète pour dévoiler à coup sûr les secrets de l’avenir. Les événemens n’avaient répondu que très imparfaitement aux attentes enthousiastes des nâbis de la captivité. Babylone n’avait pas été saccagée, encore moins rasée par Cyrus, comme ils l’avaient annoncé ; au contraire Cyrus l’avait beaucoup ménagée. La restauration ne s’était opérée que lentement, à grand-peine, de la manière la plus mesquine, et il y avait loin de l’existence précaire que menaient les quelques poignées de Juifs revenus en Palestine aux descriptions d’un avenir tout proche, plein de gloire et d’enchantemens, qu’ils avaient entendues de la bouche des voyans, et qui peut-être avaient été pour la plupart d’entre eux le motif déterminant du retour. Il semble que l’expérience de ces déceptions ait engendré une opinion peu favorable au prophétisme et surtout au caractère personnel des prophètes. La mémoire des nâbis consacrés par le respect des générations ne souffrit pas précisément de ce changement d’opinion, mais le prestige de leurs successeurs alla s’amoindrissant. Or, sans écho dans la conscience populaire, comment le prophétisme se fût-il perpétué ?

Ce n’est pas une explication arbitraire que nous proposons. La preuve formelle de ce changement dans les idées ou plutôt dans les sympathies populaires nous est fournie par un des livres les plus curieux et les plus mal compris de l’Ancien Testament ; nous voulons parler du livre qu’on attribue à Jonas, bien qu’il ne porte en lui-même aucune trace d’une pareille origine. Il faut rappeler brièvement cette étrange légende. Jonas ben-Amittaï reçoit de Dieu l’ordre de quitter le pays d’Israël pour aller reprocher à Ninive sa corruption et ses iniquités. Effrayé d’une telle mission, Jonas veut s’y soustraire par la fuite et s’embarque sur un navire qui allait à