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temps reculés, le côté que nous pouvons appeler physiologique du prophétisme prédomine encore. L’extase, la parole bruyante et précipitée, l’accès d’enthousiasme, dénotent le prophète. Samuel, grand organisateur, prophète lui-même, tâche de régulariser ces mouvemens désordonnés et réussit à les plier au service de l’idée religieuse d’Israël. De là ces « écoles de prophètes » dont nous avons parlé. Il paraît que la musique servait de moyen d’excitation à la fois et de modération à ces bandes qui marchaient souvent en prophétisant. Au premier livre de Samuel, il est question « d’une compagnie de prophètes qui descend du haut lieu précédée d’un psaltérion, d’un tambourin, d’une musette et d’une cithare[1]. » Le chant religieux sans doute servait de dérivatif à l’excès de l’agitation prophétique, et cette mention d’instrumens de musique en pareille circonstance fait penser à un autre détail rapporté au second livre des Rois[2], d’après lequel le prophète Elisée fait venir un joueur d’instrumens pour se mettre dans l’état d’esprit prophétique.

Nous voyons aussi apparaître de temps à autre des prophétesses. Miriam, sœur de Moïse, porte déjà ce titre. A l’époque des Juges, la prophétesse Deborah « chante le cantique » appelant à la guerre sainte la jeunesse d’Israël :


Debout, debout, Déborah ! — Debout, debout ! Chante-nous le cantique !


Bien plus tard, il est encore question de la femme d’Ésaïe et d’une contemporaine de Josias du nom de Hulda, Tout compte fait cependant, les prophétesses ne sont qu’une exception dans l’histoire du prophétisme hébreu. Au contraire les prophètes se succèdent, pour ainsi dire, sans interruption. David sait se concilier leurs sympathies ; il souffre la liberté de leur langage, ménage leurs scrupules, les associe à ses desseins et à sa politique. On peut voir[3] avec quelle finesse Nathan lui reprocha sous le voile transparent d’un apologue l’adultère qu’il avait commis avec Bathséba. C’est le même Nathan qui le détourne de construire un temple, Jéhovah n’en ayant aucun besoin. Le prophétisme de bonne heure est puritain, ardent intérieurement, peu curieux des pompes sacerdotales. Au contraire, sous le roi Salomon, le prophétisme est muet. Pourtant Salomon ne s’était assis sur le trône que grâce à la faveur du parti prophétique ; mais il est à croire que, comme tant d’autres souverains montés sur un trône qui ne leur revenait pas de droit, Salomon n’eut rien plus

  1. I Samuel, X, 5.
  2. III, 15,
  3. II Sam., XIII, 1-7.