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exemple, comment Nahum décrit la prise de Ninive, la colossale cité qui si longtemps a été la terreur d’Israël et se croyait éternelle. Il voit les colonnes ennemies, tout habillées de rouge, s’élancer à l’assaut des murailles, il entend les chariots de guerre rouler en s’entre-heurtant dans les rues, « ils courent comme des éclairs. » Voici la reine et ses suivantes qu’on emmène prisonnières : elles gémissent comme des tourterelles et se frappent la poitrine si fort qu’on entend comme un son de tambourin. Les chefs de la ville veulent ramener les fuyards au combat. Arrêtez-vous ! arrêtez-vous ! — Non, personne ne veut tourner le visage. — D’autres cris retentissent, ceux du vainqueur avide. — Pillez l’or ! pillez l’argent ! Videz et revidez tout ! Malheur à la ville sanguinaire ! Il faut que la peine de ses abominations retombe sur sa tête ! .. Le dialogue, la parabole, le chant de deuil, le chant de fête, l’allégorie, la prosopopée prolongée, l’ironie furieuse, d’autres fois la vision, l’acte symbolique et à dessein bizarre, la plaisanterie, le jeu de mots[1] tout sert à ce genre, sans parallèle ailleurs, de littérature religieuse. Même, quand la décadence de l’inspiration commence à se faire sentir, il suffit que le sujet émeuve fortement l’âme du prophète pour que l’expression devienne admirable. Jérémie a des chants d’une mélancolie navrante sur la ruine de sa pauvre patrie. Ézéchiel, souvent tendu, cherchant aisément le beau dans l’étrange et le grand dans l’énorme, — comme si le goût babylonien avait déteint sur sa manière, — Ézéchiel devient sublime quand il raconte sa vision du champ couvert d’os de morts à perte de vue. C’est le peuple d’Israël qu’il s’agit de ressusciter. Un souffle, un son mystérieux se fait entendre. Les os desséchés commencent à se mouvoir. Ils se rapprochent. Peu à peu des nerfs, des tendons, des muscles les recouvrent. Esprit, viens des quatre vents et souffle sur ces morts ! L’esprit obéit au prophète, les morts respirent, ils revivent !


III

D’après ce qui précède, on peut voir qu’il y a deux grandes périodes dans l’histoire du prophétisme hébreu, celle des prophètes qui se bornent à parler, celle des prophètes écrivains. Les premiers remontent aussi loin qu’on peut voir dans l’histoire du peuple d’Israël. La tradition sacrée en connaît déjà autour de Moïse. Dans ces

  1. Par exemple, Amos (VIII, 1-2) voit une corbeille pleine de fruits mûrs (kaits), et cela signifie qu’Israël est proche de sa fin (kéts). De même Jérémie (I, 11-12) répond à une question de Jéhovah qu’il voit une branche d’amandier (schaked). « Tu as bien vu, reprend Jéhovah, car je veille (schoked) sur ma parole pour l’accomplir. »