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juste l’œuvre de Moïse, demeure jusqu’à présent dépourvu de solution certaine. Il est seulement avéré que ce nom vénérable, qui paraît assez rarement dans les livres prophétiques, a servi de recommandation à une foule d’ordonnances et d’institutions d’une date évidemment bien postérieure à l’Exode. Le monothéisme au temps de Samuel et de David était-il déjà aussi rigoureux, aussi absolu qu’on le croirait quand on lit les historiens canoniques ? Plus d’un trait qu’ils ont eux-mêmes conservé autorise à en douter. Ce qui est certain, c’est que les deux grands héros du monothéisme en Israël, les prophètes Élie et Elisée, combattent avec la dernière énergie le culte étranger et polythéiste de Baal, mais ne disent jamais rien contre celui du taureau d’or[1], qui ne cessa, depuis les jours du schisme, de fleurir dans le royaume des dix tribus. C’était après tout un culte national et monothéiste, et jamais il n’est fait mention d’une compagne, d’une déesse telle qu’Astarté on Melecheth, associée à l’idole populaire d’Israël. À cette époque, au IXe siècle, la religion d’Israël n’a donc pas rompu encore complètement avec l’idolâtrie ; mais, à mesure que le prophétisme se concentre dans le royaume de Juda et que le monothéisme hébreu prend claire conscience de lui-même au contact des nombreux polythéismes que les guerres et les invasions lui apprennent à connaître, nous voyons les prophètes obéir à cette loi de l’esprit qui veut que les principes se développent par la contradiction. Je ne serais pas surpris que la ressemblance des rites usités chez les divers peuples voisins et des cérémonies du temple de Jérusalem eût contribué à faire sentir aux prophètes que la supériorité de la religion d’Israël ne consistait pas dans ses formes rituelles, et qu’ils aient été poussés par cette comparaison dans la vigoureuse opposition au formalisme, l’un de leurs grands mérites. À chaque instant, leur prédication sous ce rapport est anti-sacerdotale, et dans leur mépris des œuvres de dévotion ils préparent de loin le spiritualisme du sermon de la montagne. Ici comme partout, la loi de continuité se révèle au regard attentif. Au VIIIe siècle, le devoir d’adorer exclusivement l’invisible Jéhovah est rigoureusement prêché ; maison n’irait pas encore jusqu’à nier l’existence ni même le pouvoir d’autres divinités. Au VIe, les prophètes de la captivité babylonienne professent un monothéisme absolu. Pour eux, les idoles et les divinités qu’elles représentent ne répondent plus à rien de réel, le culte qu’on leur rend est plus niais

  1. Qu’il me soit permis à cette occasion de relever l’erreur si fréquemment commise qui fait dériver le veau ou taureau d’or du bœuf Apis égyptien. Il n’y a pas la moindre analogie entre l’adoration de l’animal vivant et celle du symbole de métal. La ressemblance de la forme ne signifie rien, puisque le taureau et la vache se rencontrent dans les mythologies les plus distinctes.