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grand-prêtre de Jéhovah porte un sachet contenant un certain nombre de petites pierres taillées on ne sait trop d’après quel modèle ; c’est l’oracle des « Urim et Thummim » que l’on va consulter dans les circonstances graves. Comme en Grèce, le prophète lui-même, dans les premiers temps, est à peine quelque chose de plus qu’un diseur de sorts, un homme capable, par exemple, d’indiquer l’endroit où sont les objets perdus. Quand Saül, fils de His, ne sait plus quel chemin prendre pour retrouver les ânesses de son père, il va tout bonnement interroger le voyant, qui doit savoir où elles sont. Déjà pourtant nous distinguons dans le prophétisme encore désordonné de cette époque une disposition remarquable à s’organiser et à se régulariser. Il y a des associations ou écoles de prophètes qui se réunissent non pas seulement pour prédire, mais pour donner un libre cours à l’enthousiasme qu’engendrent chez eux de hautes pensées religieuses, et qui s’exhale en paroles ardentes, en mouvemens cadencés, en chants improvisés. A partir de Samuel, les prophètes deviennent les organes d’une tendance déterminée la plus pure, la plus haute de l’histoire d’Israël, la tendance monothéiste. Sans doute, en vertu de la continuité des phénomènes originaux du prophétisme, il sera mainte fois question de prophètes inspirés par d’autres dieux que Jéhovah, de prophètes de Baal et d’Astarté par exemple. Il arrivera même que les prophètes faisant remonter leur inspiration à Jéhovah ne seront pas toujours d’accord et se reprocheront mutuellement d’être de faux prophètes. Bien plus, il est admis que le prophète peut parler sous l’impulsion de l’esprit de Jéhovah et dire pourtant le contraire de la vérité : c’est qu’il a plu à Jéhovah de lui envoyer un « esprit de mensonge » afin de pousser à leur perte ceux qui le consultent[1] ; mais le prophétisme, s’épurant tous les jours, sera de moins en moins l’art de prédire, de plus en plus se transformera en prédication religieuse et morale, fondée sur un certain nombre de principes fixes. Il tâche encore, il est vrai, de décrire l’avenir de la nation d’accord avec ces principes ; cependant il est essentiellement dirigé contre les vices et les abus contemporains, que ses promesses ou ses menaces ont pour but de détruire. En même temps, et à mesure que le monothéisme se consolide, les vieux moyens de divination tombent en désuétude ou sont positivement condamnés. Le torrent tumultueux et trouble du prophétisme primitif s’est clarifié ; il est devenu un grand et puissant fleuve qui fertilise ses rives, il est désormais possible d’en étudier la nature et d’en écrire l’histoire.

  1. Comp. I Rois, XXII, 19-23. Vulg. III Regum.