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divination personnelle, l’inspiration religieuse et morale, remporta de plus en plus chez les Hébreux sur la divination par interprétation de présages arbitraires. Au contraire chez les Grecs la prophétie personnelle tomba de plus en plus bas, et la mantique superstitieuse demeura seule. Aux temps historiques de la Grèce, on n’avait plus qu’un souvenir légendaire de certaines figures mystérieuses, telles que Calchas, Musœus, Tirésias l’aveugle et sa fille Manto, Bachis et sa descendance, où le don prophétique passait pour héréditaire. Il y eut du reste d’autres familles encore jouissant de la même réfutation. Il ne faut pas trop s’étonner de cette possession prolongée de la confiance populaire. Outre que la faculté de prévision, comme toutes les facultés humaines, se fortifie et se raffine par l’exercice, on peut comprendre que des familles dépositaires de nombreux secrets et consultées par une clientèle dispersée en tous pays étonnassent souvent par leur clairvoyance ceux qui avaient recours à leur art. La même chose doit se dire des collèges de prêtres réunis autour d’un sanctuaire vénéré, tel que celui de Dodone, tel surtout que celui de Delphes, où pendant des siècles l’oracle pythique centralisa les curiosités intéressées de l’ancien monde. On sait que les réponses hachées, convulsives de la pythie attachée sur son trépied et se tordant sous l’influence des vapeurs de l’antre fatidique, étaient recueillies par le prophète (c’est-à-dire l’interprète, et c’était le titre officiel du prêtre chargé de cette fonction) et délivrées sous forme de vers réguliers par le collège sacerdotal voué au service d’Apollon Delphien. Eh bien ! depuis les guerres médiques, cet oracle, le plus célèbre de tous, qui, malgré des pillages réitérés, redevenait toujours énormément riche, tombe lentement en discrédit. On l’accuse, non sans vraisemblance, de s’être laissé séduire par l’or de Xerxès. Agésilas et Épaminondas ne cachent pas leur mépris pour ses réponses ambiguës. Démosthènes lui reproche ironiquement de philippiser. Le talent de composer des vers finit même par échapper aux organes du dieu de la poésie. Cicéron, le plus curieux des hommes, put encore l’interroger dans sa jeunesse ; au temps de son âge mûr, il était devenu muet. Une tentative de restauration dirigée par Plutarque en personne ne réussit pas à lui rendre la parole. De même les chresmologues et manteis de profession traînent assez longtemps une existence méprisée[1]. Leur art n’est plus qu’un métier. La jonglerie, la ventriloquie, la supercherie sous toute sorte de formes, ont pris la place de l’inspiration. Au contraire l’art

  1. Les sibylles, qui à l’origine ont pu être des prophétesses en possession de l’inspiration intérieure, ne sont plus aux temps historiques que des êtres de convention auxquels on attribue des collections de vieux oracles en vers à tendance politique.