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et l’administration en reprenant un chef-d’œuvre sans désemparer Don Carlos.

Un théâtre bien gouverné doit ne connaître que des premiers sujets qu’il montre à tour de rôle dans les divers ouvrages du répertoire : de la sorte chaque représentation a son intérêt. Ainsi l’un de ces derniers soirs que l’affiche annonçait Don Carlos, Mme Gueymard étant indisposée, on a vu soudainement apparaître et comme sortir d’une trappe Mlle Mauduit. Les surprises de ce genre réjouissent la curiosité. Mlle Mauduit a chanté le rôle de la princesse Éboli avec la bravoure et la sûreté d’un chef d’emploi. Ses points d’orgue dans les parties difficiles sont déjà presque d’une virtuose, et le sentiment dramatique est parfait. Impossible de mieux dire au quatrième acte la scène avec Elisabeth, quand la reine redemande sa croix à la dame d’honneur infidèle, et de lancer plus énergiquement l’air d’imprécation à la beauté, Mlle Mauduit avait à se tenir prête pour succéder au besoin à Mme Sass dans le personnage d’Elisabeth, et c’est Mme Gueymard qu’elle remplace ainsi au pied levé dans la princesse Éboli. De pareils efforts, quand ils réussissent, n’indiquent pas seulement un excès de bonne volonté ; devoir, vouloir, pouvoir, trois choses indispensables à toute manifestation durable et dont la simultanéité ne se rencontre que rarement ! Ce n’est déjà plus une débutante, cette jeune fille qu’entraîne sa vocation : voix de flamme, intensité démoniaque dans un corps d’oiseau, et qui, tout heureuse de jouer, de chanter, de quelque part qu’on la réclame, accourt avec l’ardeur et l’inspiration de ses vingt ans. Le lendemain, on la retrouvait dans Robert le Diable. Elle est aujourd’hui la seule Alice. A mesure que les encouragemens lui viennent, elle secoue peu à peu la leçon apprise, essaie à son tour de créer, et de la brillante élève du Conservatoire l’artiste intelligente se dégage.

Le drame lyrique moderne n’a peut-être pas en effet de rôle plus difficile que celui d’Alice ; on y verra tôt ou tard Mlle Nilsson, qui finira bien par aborder le répertoire, à moins qu’elle ne commence par là, ce qui serait à coup sûr d’un plus fier exemple. Mlle Nilsson a pour elle un grand charme, celui d’être née en dehors de la banalité, de la vulgarité des mœurs théâtrales. Il y a dans sa physionomie, dans sa voix d’un timbre si rare et si pur, je ne sais quoi d’honnête et d’ingénu qui la recommande à toutes les sympathies du monde. Elle débutait à peine que son avenir se déclarait, et cela dans Violetta, un rôle de courtisane médiocrement en harmonie, ce semble, avec les qualités qui la distinguent ; mais le naturel et le comme il faut percent dans tout. Le public applaudit à cette nouveauté, c’en était une en effet, et des plus attrayantes. Plus tard, on l’entendit dans la Flûte enchantée et dans Martha. Je ne parle pas de Martha, musique de genre, musique facile, trop facile, et qui ne vaut ni plus ni moins que telle partition de M. Balfe, par exemple la Bohémienne, à laquelle il n’a manqué chez nous, pour passer également à l’état de chef-d’œuvre, qu’une Patti ou