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l’influence prussienne à la suite du jeune prince Charles, les tendances, les plus rétrogrades ont failli récemment prévaloir en matière religieuse. Les pauvres juifs de Moldavie ont été soumis à une persécution qui a été heureusement arrêtée par les hautes interventions européennes. Étrange méprise de populations chrétiennes orientales sans cesse occupées à nous dénoncer les excès du fanatisme musulman, et qui ne craignent point de se livrer parfois elles-mêmes à une intolérance odieuse ! Pour revenir à M. de Bismark, on peut déjà reconnaître à plusieurs symptômes qu’une réaction se prépare contre ses excès de domination conquérante. Le parti de la croix, sur lequel M. de Bismark s’est appuyé pendant toute sa carrière et qu’il a entraîné à sa suite par le prestige de ses succès, comptait des amis nombreux dans les petits états du nord de l’Europe que des affinités de doctrines politiques et religieuses attiraient vers le mouvement prussien. M. de Bismark et le parti de la croix perdent en ce moment ces amitiés extérieures qui n’étaient point à dédaigner. En Hollande par exemple, M. Groen van Prinsterer était de ces conservateurs sérieux et de ces chrétiens sévères qu’une sympathie naturelle attirait vers Berlin et le parti qui avait à sa tête les Stahl, les Gerlach. M. de Prinsterer, qui a déjà dénoncé certaines aspirations prussiennes sur la Hollande, continue avec une énergie marquée ses admonestations à ses amis de Berlin. L’Empire prussien et l’Apocalypse, tel est l’écrit que, sous un titre un peu bizarre, il envoie à la même adresse. Il y réunit des protestations curieuses de personnages religieux d’Allemagne contre le matérialisme des convoitises prussiennes. Dans ces régions où l’on unit les convictions conservatrices à un mysticisme évangélique, on accuse la Prusse de déserter, pour des satisfactions de force, sa haute vocation religieuse. Un de ces pieux écrivains s’écrie : « Que Dieu dans sa bonté daigne nous préserver de l’unitarisme impérial ! » En 1853, le chef de l’école, M. Stahl, disait : « La Prusse a rempli une mission européenne en évitant, au milieu de l’entraînement général, l’impérialisme, ce dangereux écueil. » Les amis berlinois de M. de Prinsterer blâment la Prusse de s’abandonner à ce matérialisme impérial. M. Thiersch, par un bizarre accouplement d’idées, « indique dans l’impérialisme moderne des analogies frappantes avec les tendances anti-chrétiennes signalées dans l’Apocalypse et réalisées dans la révolution. » Ce style, qui sent une sorte de fanatisme, ne doit plus toucher M. de Bismark, qui a rompu avec les mystiques de l’école évangélique et autoritaire. Le ministre prussien vient de trahir avec une grande franchise son dédain pour les opinions conservatrices et son goût nouveau pour les idées démocratiques en écrivant une lettre de remerciemens et une profession de foi presque jacobine aux deux démagogues anglais, aux deux héros les meetings de Hyde-Park, MM. Beales et Bradlaugh, les présidens de la ligue de la réforme anglaise, qui avaient félicité le ministre prussien d’avoir appliqué le suffrage universel à l’élection des députés du parlement du nord. Les