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françaises… Ainsi que la Seine, il rencontre sur sa route le barrage d’une grande ville à laquelle il a livré plus d’un assaut de concert avec la Saône, sa trop fidèle auxiliaire. » Sans doute nous comprenons ce qu’on veut dire, mais vraiment ces choses-là sont dites en termes trop galans. Point de figures, s’il vous plaît, point d’ornemens. Que M. Dehérain, si quelques-uns de ses collaborateurs veulent parer leur prose, leur rappelle ce passage d’un conte célèbre : « Il faut avouer, dit Micromégas, que la nature est bien variée. — Oui, dit le Saturnien, la nature est comme un parterre dont les fleurs… — Ah ! dit l’autre, laissez là votre parterre. — Elle est, reprit le secrétaire, comme une assemblée de blondes et de brunes dont les parures… — Et qu’ai-je à faire de vos brunes ? dit l’autre. — Elle est comme une galerie de peintures dont les traits… — Eh ! non, dit le voyageur, encore une fois la nature est comme la nature. Pourquoi lui chercher des comparaisons ? — Pour vous plaire, répondit le secrétaire. — Je ne veux point qu’on me plaise, répondit le voyageur, je veux qu’on m’instruise. »

Si l’on cherche un écrivain scientifique dont le style soit vivant, alerte, incisif, il faut s’adresser à M. Victor Meunier. Nous trouvons dans son livre, la Science et les savons en 1866, les qualités et, s’il faut le dire aussi, les défauts que nous avions trouvés dans ses œuvres précédentes. M. Meunier semble être avant tout un polémiste ; il est armé en guerre, il attaque et il se défend, il s’exprime avec passion, et sa verve échauffe tous les sujets qu’il touche. Par ces indications mêmes, on doit voir quel est le revers de la médaille, quels sont les côtés par où M. Meunier donne prise à la critique. La chaleur de la discussion l’entraîne souvent au-delà du but ; il a des partis-pris, des animosités personnelles. Les questions de personnes se trouvent placées au premier plan dans son livre ; elles l’animent sans doute, mais elles y tiennent une trop grande place et rendent bien étroit l’espace réservé aux véritables données de la science.

Nous ne pouvions manquer de faire ce reproche à M. Meunier. Le voilà fait, c’est une affaire bien entendue, et notre conscience est ainsi en repos ; mais ce devoir rempli, quel plaisir de suivre M. Meunier dans sa lutte incessante contre ceux qu’il appelle les savans « officiels, » et qu’il accuse de détenir « en fief » chacun une région de la science ! L’Académie des sciences a toujours sa grande part dans les objurgations de M. Meunier. « Que nous apprend, dit-il par exemple, tel travail (présenté à l’Académie par un de ses membres) ? Qu’une expérience est préparée. Il vaudra donc ce que vaudra l’expérience ; jusque-là rien à dire. J’aurais attendu patiemment, et l’auteur du mémoire lui-même ne l’eût pas publié, si les savans n’avaient pris l’habitude d’entretenir le public de leurs travaux avant de les avoir achevés, et de nous débiter leurs découvertes miette à miette, comme elles leur viennent. » Hélas ! oui, et encore quand il s’agit de savans il n’y a que demi-mal ; mais le pire est que les ignorans emploient le