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Grande-Bretagne pour arracher ses industries au mauvais goût qui y régnait. On disait bien haut que nous allions être dépossédés en matière d’arts et qu’après avoir surpris nos secrets, les Anglais seraient nos maîtres. L’exposition est là, l’occasion est bonne pour tirer au clair ce vieux grief ; personne n’y songe, tant il est vrai que tout ce bruit n’était qu’un prétexte à une violence contre d’anciens et légitimes droits d’une classe de l’Institut. Ce que voit aujourd’hui un spectateur désintéressé, c’est que, dans un échange habituel de rapports, les usurpations sont réciproques et plus générales qu’on n’aurait pu l’imaginer. Les peuples se copient, et en se copiant perdent beaucoup de leur physionomie originale. Chez les individus, le fait est visible ; les Orientaux même, avec leurs costumes si tranchés, n’échappent pas à cette sorte de dénaturation ; entre Européens, il n’y a plus que des nuances souvent imperceptibles, même pour des yeux exercés. Dans les produits, l’assimilation est plus frappante encore ; pour beaucoup d’entre eux, il est impossible de distinguer le pays et la main d’où ils sortent. Si l’esprit de concorde et de paix, source de ces affinités, se maintient longtemps parmi les hommes, il n’y aura bientôt plus entre les fruits de l’activité humaine d’autres dissemblances que celles qu’y maintiendront la nature du sol et la diversité des climats. Tout ce que l’homme y ajoute de façons, traité par les mêmes machines ou par des ouvriers mis fréquemment en contact, gardera nécessairement un air de parenté. Ceci peut conduire à un rêve qui continuerait celui de l’abbé de Saint-Pierre : la division du travail Rétablissant entre tous les peuples du globe, comme elle s’établit entre des compagnons d’atelier qui traitent chacun un détail pour exécuter à moins de frais possible et avec plus de perfection une œuvre commune. L’œuvre commune serait ici le triomphe de la civilisation la plus avancée sur toutes celles qui sont en retard.

Dans Son ensemble, l’exposition de 1867 a une physionomie qui la distingue de toutes celles dont nous avions été témoins. Aucune jusqu’ici n’a exercé sur la foule un attrait plus vif. La mise en scène y entre évidemment pour beaucoup : on y va plutôt pour un spectacle que pour une étude ; mais il en rester même pour les esprits les plus superficiels, des notions qui forment le goût et fortifient le jugement. Pour les hommes réfléchis, d’autres mérites s’y montrent, et dans la suite de ce travail nous aurons à les signaler. Ce qui les frappe le plus, c’est l’empressement qu’ont mis les exposans de toutes les nations à répondre à l’appel qui leur avait été fait, et à se présenter à ce pacifique combat avec leurs meilleures et leurs plus brillantes armes.


LOUIS REYBAUD.