Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/739

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de brisures de fils. A l’exposition de Londres, en 1862, on citait des métiers d’exception battant deux cent quarante coups par minute, pour des étoiles de largeur moyenne ; mais on doutait que ces instrumens pussent devenir d’un emploi courant. Ils sont en tout cas dépassés de beaucoup, comme on peut s’en assurer au Champ de Mars. Dans l’exposition anglaise figure, sous le nom d’un fabricant de Bradford, une machine, à largeur réduite il est vrai, mais dont tous les organes sont traités avec un soin, on pourrait dire une élégance qui charme le regard quand elle est au repos. Manœuvre-t-elle, c’est un phénomène de vitesse ; on peut s’assurer, montre en main, qu’elle frappe de trois cent quarante à trois cent cinquante coups à la minute. La navette va et vient sans être autrement perceptible que par un battement qui se produit à chaque course. Ainsi de quatre-vingt à trois cent cinquante, voilà la distance parcourue avec des étapes intermédiaires. Ce perfectionnement, n’est pas le seul ; au début, le métier à tisser ne marchait qu’à une seule navette ; il va maintenant avec sept, huit et jusqu’à dix navettes. Pour la conduite d’un métier, il fallait un homme ou une femme ; une femme aujourd’hui mène deux métiers, et on cite dans les comtés du nord de l’Angleterre plusieurs manufactures où l’on a pu, sans que le service en souffrit, mettre quatre métiers sous la conduite d’un homme.

Comment le métier à bras résisterait-il à un siège dirigé avec cet art savant, et que précèdent de si formidables travaux d’approche ? Aussi y a-t-il chaque jour des positions emportées qui mettent à découvert celles qui tiennent encore. Roubaix, Amiens, Saint-Quentin, ont introduit dans leurs murs le métier mécanique, qui y jouera le rôle du cheval de Troie ; Rouen l’avait adopté depuis longtemps. Chacune de ses conquêtes est définitive, dans le coton les calicots, dans la laine les mérinos et les draps unis ; à mesure que ses organes s’assouplissent et se disciplinent, il pénètre dans la nouveauté, dans la fantaisie, dans le domaine de l’art. Il s’accommode des cartons Jacquart et les manœuvre comme peut le faire le tisserand armé de sa pédale. Cependant, il faut le dire, de toutes ces acquisitions, la plus désirable a jusqu’ici trompé sa poursuite ; la soie s’est montrée plus rebelle que le coton, la laine et le lin. Cela devait être Lyon a des traditions qui obligent, des titres acquis, de la richesse accumulée, et ne peut pas se jeter dans les aventures comme une ville qui aurait sa réputation et sa fortune à faire ; Lyon a en outre la conscience de sa force et ne se sent pas déchu. Qui donc prétendrait l’égaler pour l’esprit d’invention, le goût, le choix heureux des formes, la variété des dessins, l’éclat et la solidité des couleurs ? Personne assurément ; mais il y a pourtant