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instrumens qui le découpent. Ici les rails s’engagent sous les dents d’une scie circulaire qui, dans ses rapides évolutions, distribue des gerbes de feu, et tranche en se jouant les pièces qu’on lui présente. Là les feuilles et les plaques de tôle seront coupées d’équerre à la cisaille, et c’est merveille de voir comme le fer se laisse pénétrer par les dures mâchoires de l’outil. Ailleurs, introduit dans des rouleaux dont les rainures vont se rétrécissant, le fer s’allongera et serpentera sur les dalles jusqu’à ce que de jeunes garçons le saisissent avec des pinces pour le soumettre à un étirage nouveau. Tout cela se fait avec une aisance, une sûreté d’effets, une agilité de mouvemens, qui étonnent et intéressent. Et dans le haut-fourneau où la fonte se prépare, que de mouvement et de vie ! C’est littéralement un corps de pierre qui semble, dans ses fonctions intelligentes, reproduire une partie des fonctions des organes humains, s’assimile comme eux les alimens qu’on lui fournit, respire, agit avec une régularité constante, et sépare avec une précision dynamique ce qui est réfractaire de ce qui peut être utilement employé.

A voir une industrie si fortement armée et douée de tant de puissance, qui ne s’imaginerait qu’elle a trouvé son assiette définitive et n’a plus d’aventures à courir ? Pourtant, sans être sérieusement menacée, elle traverse une période de mue, et cela à peu près partout, sous l’influence de causes ici particulières, là générales. De ces causes générales, la plus active a été l’essor brusque et peut-être excessif qu’ont donné au travail du fer des débouchés accidentels qui devaient se fermer ou du moins se réduire à des échéances déterminées, comme l’établissement des chemins de fer en bloc et de toutes pièces, la création d’un matériel naval dont le fer est le principal élément soit pour les coques, soit pour les cuirasses, enfin la construction de ces grands appareils que la vapeur a multipliés pour tous les genres de services, machines de mer, locomotives, ponts et ponceaux, viaducs, sans compter les accessoires. Pour suffire à tant de commandes venant coup sur coup, que de hauts-fourneaux n’a-t-il pas fallu bâtir, souvent dans de médiocres consultions d’exercice ! Les uns, situés loin des gîtes minéraux, ne pouvaient marcher qu’au bois, d’autres mélangeaient le bois avec la houille ; aux mieux installés la houille suffisait comme combustible. À ces inégalités dans les frais d’alimentation s’ajoutait l’inégalité des proportions ; il y avait de grands, de moyens et de petits établissemens. Tant que la marge des profits fut assez ample, tout ce monde vécut à l’aise, avec cette seule différence que la curée se distribuait en raison des forces et aussi des appétits de chacun : il y avait de grands, de moyens et de petits inventaires, tous avantageux. Les choses en étaient là quand peu à peu le marché s’est