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surprise de cette ville par une bande de fanatiques khokandiens et des longs massacres qui avaient suivi cette révolution, massacres dans lesquels, pour le dire en passant, l’illustre voyageur Adolphe Schlagintweit avait perdu la vie. Les Tachkendis avaient de la mémoire et ne tenaient pas à être mis en coupe réglée par les prétendus patriotes aux ordres de Mozaffer.

Celui-ci avait relâché les envoyés russes, mais ne songeait nullement à traiter avec les vainqueurs d’Irdjar. Il comptait moins sur ses propres ressources que sur quelque diversion inattendue ; il l’espérait avec une obstination qui faisait plus d’honneur à son énergie qu’à sa connaissance de la situation politique du monde européen. Persuadé comme tous les Turcs que les souverains de l’Occident ne sont que des krals (rois) vassaux de la Sublime-Porte, il avait, dès le mois d’octobre 1865, envoyé au sultan Abdul-Aziz une députation chargée de provoquer une démonstration quelconque de la Porte en sa faveur. La réponse de sa hautesse dut lui faire tomber les écailles des yeux ; il fallut alors chercher ailleurs. Le souvenir des compétitions rivales entre la Russie et l’Angleterre, compétitions qui s’étaient produites à la cour de son père de 1837 à 1840, devait l’amener tout naturellement à s’adresser au gouvernement de l’Inde ; mais cette démarche coûtait trop à son orgueil fanatique. Pendant qu’il hésitait, le comte Dachkof, nouveau commandant des forces russes au Turkestan, poursuivait rapidement les succès obtenus par Romanovski. Le 2 octobre, il emportait d’assaut Oratupa, et en novembre les troupes du tsar, franchissant pour la seconde fois la frontière même de Bokhara, attaquaient Djizak et s’y établissaient solidement. Je crois inutile de donner le détail de ces deux opérations : ce fut comme à Khodjend une prise presque au pas de course de l’enceinte fortifiée, suivie d’une mêlée sanglante et furieuse de rue en rue. La perte des Russes fut de deux cents hommes à Oratupa : à Djizak, elle fut également considérable. Bien que cette dernière ville ne soit qu’à trois petites étapes de Samarkande, nous n’apprenons pas que le comte Dachkof ait marché en avant. La résistance acharnée opposée aux Russes par un ennemi qui n’a marché depuis deux ans que de désastre en désastre et qui ne songe pas à demander grâce a dû les confirmer dans leur stratégie prudente et les faire renoncer aux coups hardis et aventureux.

Quant à l’émir, la prise de Djizak a mis fin à ses hésitations ; il a envoyé un agent à Calcutta pour invoquer l’aide ou l’intervention du gouvernement anglo-indien. L’agent s’en est retourné en février dernier, n’ayant naturellement obtenu que ces assurances d’une courtoisie banale qui servent en diplomatie à déguiser un refus. Les dernières nouvelles arrivées en Europe le 2 avril mentionnent