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officiel de l’islam menacé par les infidèles, et après avoir prudemment réclamé et obtenu qu’on lui livrât le jeune khan de Khokand, encore mineur, il expédia à la ville de Tachkend un renfort qui n’empêcha pas cette place de tomber au pouvoir du général Tchernaïef. Peu après, il occupait Khodjend et envoyait au général russe une sommation insolente d’évacuer les parties du khanat qu’il avait conquises, menaçant, en cas de refus, de se mettre à la tête de tous les musulmans et de commencer la guerre sainte. À cette provocation, le général russe répondit par un refus formel et par une mesure au moins inutile, l’arrestation de tous les sujets boukhares, qui se trouvaient au nombre de 138 dans la province d’Orenbourg. Il faut ajouter toutefois que cette mesure fut rapportée presque aussitôt ; d’ailleurs, comme moyen d’intimidation, elle manquait complètement son but. C’est mal connaître les princes orientaux que de supposer qu’ils puissent s’inquiéter du sort de ceux de leurs sujets qui tombent aux mains d’un ennemi, à moins que ces otages n’appartiennent à leur propre famille. Ce qui arrêta plus efficacement l’émir, ce fut une insurrection qui éclata à Chehr-i-Sebz, dans le sud-est de Bokhara, et qui le força de rétrograder. Il songea alors à négocier pour détourner le coup qui le menaçait au nord, et envoya au quartier-général russe un agent qui avait déjà rempli en 1859 une mission à Pétersbourg, le khodja Nadjimit-Dîn ; il le chargeait un peu tardivement d’aller notifier au tsar son avènement au trône de Boukharie, et par occasion de régler à l’amiable les difficultés survenues.

Nadjimit n’était pas le premier agent boukhare qui eût été envoyé en Russie : dès 1836 et à diverses reprises durant les années suivantes, l’émir Nasr-Allah avait fait au tsar des avances qui avaient été acceptées avec un certain empressement. Par une inconvenance assez générale chez les souverains musulmans lorsqu’ils traitent avec des puissances chrétiennes, le divan de Bokhara avait député à Pétersbourg un officier d’un rang très inférieur, un karaoul-beg (officier préposé à la garde d’une des portes de la ville), et le grand-vizir ou kuch-beg s’était vanté publiquement de cette grossièreté, disant à qui voulait l’entendre que le chef des croyans ne devait rien de plus à des infidèles. La Russie, alors en collision avec Khiva, inquiète de la prochaine intervention anglaise dans l’Afghanistan, feignit d’ignorer cette circonstance, et se montra dans l’acceptation du portier-plénipotentiaire plus coulante qu’elle ne l’eût été dans d’autres circonstances ; mais précisément en 1865 d’autres circonstances étaient survenues, et le général Krijanovski déclara à Nadjimit qu’il était inutile qu’il allât plus loin, et que lui Krijanovski avait les pleins pouvoirs de l’empereur pour régler