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heureux coup de main avait faits les successeurs des rois civilisés de l’antique Bactriane. Il était advenu aux Ouzbegs ce qui est arrivé bien souvent à des barbares soumettant un peuple amolli par la civilisation, c’est qu’entrés dans la vallée de l’Oxus avec les habitudes et les appétits de la vie sauvage, ils avaient été transformés et conquis par la civilisation même qu’ils semblaient être venus détruire. Cette heureuse transformation fut deux fois arrêtée par une révolution trop célèbre dans l’histoire de l’Asie : les Mongols restés dans les steppes et sous la tente se mirent, sous Djingiz-Khan d’abord, plus tard sous Timour, à refluer sur l’Asie occidentale, qu’ils inondèrent, et les Ouzbegs furent les premières victimes de cet effroyable déluge. Leurs villes furent saccagées, leurs mosquées et leurs collèges transformés en écuries, et eux-mêmes refoulés dans le désert, où ils retournèrent à la misère et à la barbarie d’autrefois. L’empire mongol d’ailleurs dura encore moins que celui des califes, et les exilés ouzbegs purent, vers la fin du XVe siècle, rentrer à Khiva et à Bokhara ; mais ils n’y rapportèrent presque aucun souvenir de leur première et éphémère civilisation. Les habitudes d’anarchie, de pillage et de violence auxquelles Ils avaient sacrifié pendant quatre siècles ne les quittèrent point, et rien de plus monotone et de plus brutalement fastidieux que l’histoire des khanats de Khiva, Khokand, Bokhara et Kondouz depuis près de trois cents ans. Gouvernemens absolus, guerres civiles à la mort de chaque émir, empoisonnemens et trahisons, révoltes de petits chefs féodaux, incursions de maraude décorées du nom de guerres extérieures : voilà ce qui remplit ces tristes annales jusqu’au jour où la turbulente étourderie des princes ouzbegs les amenait à se heurter à la puissance moscovite. Pour bien exposer le caractère et la véritable portée de cette lutte acharnée, il est nécessaire de donner, une idée explicite, de la situation politique et sociale des états touraniens. Je me bornerai pour cela au khanat de Bokhara, d’abord parce qu’il est aujourd’hui le seul en armes en présence de la Russie, en second lieu parce que, l’organisation des quatre khanats étant absolument identique, en décrire un suffit pour les faire connaître tous.


II

L’état de Bokhara, dont toute la partie orientale est encore absolument inconnue aux géographes européens, a pour frontières naturelles doux beaux contre-forts du plateau de Pamir, et se développe de l’est à l’ouest le long de deux grandes rivières parallèles,