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que ce n’est pas le cas de M. Jundt, et que son tableau intitulé Parrain et marraine, souvenir des Alpes, n’a rien qui dépasse les justes limites où un artiste doit toujours se maintenir. C’est une symphonie en blanc majeur, comme dirait un poète de notre temps. L’importance du sujet ne comportait peut-être pas des personnages grands comme nature, et la toile, je crois, n’aurait rien perdu à être diminuée d’un bon tiers ; mais la marraine est si jolie, son compère est si naturellement empêtré, que le reproche a quelque peine à se formuler. À l’aube, dans le grand pays des montagnes, sous un ciel blanchissant et non loin des glaciers, une jeune femme et un vigoureux paysan sont partis pour porter à l’église l’enfant nouveau-né qu’ils vont tenir sur les fonts. La marraine marche devant, fraîche, pimpante et coquette, coiffée du chapeau de paille à quadruple retroussis, vêtue de sa belle robe de cérémonie où s’attache le large tablier blanc orné de rubans de toutes couleurs ; elle se retourne pour voir si elle est suivie par le parrain, qui porte le petit enfant couché sur son oreiller, couvert de langes éblouissans et embéguiné du bonnet de velours rouge pailleté d’or. La pente est plus que rapide, c’est un escalier taillé dans le roc ; le parrain serre l’enfant contre sa poitrine avec cette maladresse attentive de l’homme, qui n’a jamais su porter un nourrisson. Il regarde par-dessus son doux fardeau afin de voir où il va poser les pieds ; il est penché en avant, sa tête disparaît sous l’immense chapeau tyrolien orné du gland d’or et des plumes de tétras traditionnelles ; sa jambe solide est pressée dans un gros bas, et sa figure exprime une attention inquiète dont sa jeune compagne, fraîche comme une aubépine en fleur, paraît se moquer en souriant ! C’est extrêmement gracieux et d’une bonne facture, à laquelle on doit cependant reprocher certaines lourdeurs opaques qui lui donnent une apparence quelque peu pesante. Cela tient évidemment au procédé, à l’abus des terres, et souvent aussi à l’absence de glacis. Ce défaut, que je signale tout spécialement à l’attention de M. Jundt, est visible dans son autre toile intitulée après Sadowa. Ce tableau ressemble à une gouache ; on dirait qu’il a été peint sur un fond préparé au blanc d’Espagne, et que ce fond a repoussé. Tout y est d’un gris de souris singulier, dont on ne se rend pas compte, qui ternit le coloris général et attriste toute la composition. M. Jundt, qui a un talent réel, qui observe bien et rend juste, avec une pointe d’ironie, fera bien de corriger sa manière de cette légère imperfection. Rien n’est plus facile, et ses tableaux y gagneront.

Si le procédé de M. Jundt accuse parfois trop de pesanteur, celui de M. Eugène Fromentin se distingue par une légèreté sans