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peindrait-il autrement que la muraille contre laquelle s’appuie sa mendiante ?

Puisque nous en sommes aux coloristes, je parlerai de M. Bischoff. C’est un Hollandais ; il y a dans son petit tableau du soleil et de la couleur à satisfaire les plus exigeans. L’an dernier, M. Bischoff avait exposé un Rembrandt se rendant à la leçon d’anatomie qui ne manquait pas de certaines bonnes qualités, mais qui était loin de valoir le Jour de la Pentecôte, que nous voyons aujourd’hui. Il y a un peu du procédé de Decamps dans cette façon d’opposer brusquement les parties lumineuses et les parties ombrées de la composition. Ce n’est certes pas ce qu’on pourrait appeler une peinture saine ; on a peut-être abusé de l’empâtement, des glacis, de l’os de seiche, du rasoir, des reliefs factices, des contours cernés, mais l’effet cherché est obtenu. Si les moyens sont douteux, le résultat est bon, et c’est ce qu’on doit constater. Une jeune fille en vieux costume frison de Hindeloopen est assise de profil perdu et lit une bible placée devant elle sur un meuble qui tient le milieu entre le prie-Dieu et le lutrin ; un rayon de soleil passant par la fenêtre jette une clarté violente sur la scène et l’anime par le très fort contraste d’ombres très foncées, quoique transparentes, et de lumières excessivement aiguës. Les meubles rouge-vermillon, la jupe violet sombre, les manches de la chemise blanche semées de fleurs, le mouchoir varié qui entoure la tête de la jeune fille, son aumônière rehaussée de touches blanches enlevées en relief, la bible à laquelle une plume de paon sert de signet, un bouquet de tulipes, une petite vache en faïence faisant accessoires, tous les détails en un mot ressortent avec une vigueur extraordinaire et indiquent un coloriste-luminariste de premier ordre. L’abus des ficelles disparaît dans une facture à la fois très large et très serrée qui a su rassembler l’effet et lui donner une importance qu’on ne saurait trop louer. Non-seulement ce tableau est bon, plaisant à regarder, mais il est extrêmement original, et c’est là une qualité assez rare aujourd’hui pour qu’il ne soit pas superflu de le signaler particulièrement.

M. Jundt aussi mérite d’être loué sous ce rapport, quoique son originalité soit de moins bon aloi que celle de M. Bischoff, qu’elle soit un peu voulue et parfois trop manifestement travaillée. On risque bien souvent, en voulant à tout prix attirer les regards, de tomber dans le baroque et de cesser d’être intéressant à force d’essayer d’être singulier. La mesure est parfois difficile à garder, et les meilleurs esprits peuvent se laisser entraîner à des exagérations qui ne font que les compromettre sans rapporter aucun profit sérieux à leur talent et à leur réputation. Hâtons-nous de dire