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dans un coin. La tonalité est grise et brune d’une couleur ferme et solide ; mais l’effet est compromis par la nuance jaune pâle du tablier du jeune modèle. Elle n’est pas en rapport avec la gamme donnée, elle est trop vive pour les bruns, trop sourde pour les gris ; en un mot, elle jure et brise une harmonie qui, sans elle, eût été excellente. Quant au portrait que M. Bonnat expose, il prouve qu’il doit rester dans la peinture de genre, ou du moins que, s’il en veut sortir, il ne pourra le faire qu’après de nouvelles, longues et sérieuses études. Il y a là des fautes de dessin manifestes, surtout dans la bouche et dans le bas du visage ; quant à l’exécution, elle est fort lâchée. La robe de mousseline, le petit chien bichon, semblent être en lilas blanc et auraient demandé une facture beaucoup plus serrée, J’ai peur que M. Bonnat ne s’en fie trop à son évidente facilité ; rien ne remplace le temps, et ce qui se fait sans lui court grand risque d’être incomplet.

M. Gustave Jacquet mérite qu’on par le de lui ; c’est un débutant, je crois, et ses deux tableaux indiquent des facultés de peintre peu communes qui, si elles sont développées par l’étude, pourront donner d’excellens résultats. Sa façon de colorer semble être un compromis entre la manière de M. Ricard et celle de M. Baudry. Elle a un côté maladif qui pourrait devenir dangereux, s’il était exagéré, ainsi que le prouve le triste exemple de M. Hébert ; mais telle qu’elle est aujourd’hui, elle est pleine de charme et de promesses. La touche est légère, très harmonieuse, et les nuances sont combinées avec un goût qui devient de plus en plus rare ; le dessin est loin d’être parfait, il a de regrettables faiblesses, et je signalerai spécialement à M. Jacquet l’exécution trop négligée des mains du Portrait de Mlle F. M. Le coloris sans la ligne peut produire des toiles agréables, mais ne donnera jamais ce qu’on appelle un bon tableau. Ingres disait : En matière de peinture, la ligne, c’est la probité, et il avait raison. M. Lebel aussi est un coloriste, ses deux petites toiles sont remarquables. Le sujet est insignifiant ; sa Mendiante représente une pauvre femme vêtue de noir, tenant un petit enfant dans ses bras et tournant une serinette ; le Reliquaire nous montre une paysanne italienne debout sur la pointe du pied et effleurant de ses lèvres une châsse exposée sur un autel. Dans ces deux tableaux, la lumière est sourde ; ce n’est donc pas dans des oppositions d’ombre et de clarté que M. Lebel a cherché et obtenu son effet, qui est très puissant. il est dû tout entier à des colorations profondes, combinées avec une science rare, et juxtaposées sans la moindre fausse note. Malgré une certaine violence contenue de la brosse, c’est fort doux et tout à fait symphonique ; mais si M. Lebel avait à peindre un plat de chicorée au lait, le