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s’imprégner de cette idée vraie que le but est très lointain et que l’existence ne suffira peut-être pas à l’atteindre. Je ne sais si M. Lévy a dans le cerveau un idéal de perfection, il n’y touche pas encore ; mais il l’a entrevu, et c’est déjà beaucoup. Le sujet du Vertige est des plus simples. Un jeune homme et une jeune fille, deux enfans, pourrait-on dire, sont partis pour la chasse ; à coups de flèches, on a tué des moineaux et des grives ; puis, de poursuite en poursuite, on est arrivé au sommet de la montagne ; la terre manque, le précipice s’ouvre, et la tête tourne au jeune chasseur, qui s’appuie contre la muraille du rocher placé derrière lui, tandis que sa compagne, plus brave, le retient d’une main et se penche au-dessus de l’abîme pour en mesurer la profondeur. Tout cela est charmant, bien réussi, habilement dessiné et d’un coloris dont la gamme générale n’est point déplaisante. Le contour est excellent, il n’a plus cette sécheresse que nous avons reprochée autrefois à M. Lévy ; la brosse est plus ferme, très solide dans certains morceaux, et je m’étonne qu’elle ait encore tant de mollesse dans la partie de montagne placée derrière le jeune chasseur, tandis qu’aux premiers plans elle a toute la vigueur désirable. Le ciel est blanc, et un paysage d’un vert assez doux forme le fond du précipice au-dessus duquel les deux enfans sont suspendus. Le jeune homme, demi-nu, est ceint d’une draperie habilement agencée, où l’on reconnaît les tons jaunes, bleus et rouges, un peu éteints, familiers aux peintres de l’école florentine ; la tête brunie de tons bistres, de profil perdu, se détache en sombre sur le ton laiteux des nuages ; les épaules, les genoux, les chevilles, sont attachés par un homme qui connaît bien son anatomie et qui a étudié le nu sur nature. La petite fille, penchée en avant par un geste plein d’élégance et de naturel, montre un joli visage où éclatent toutes les belles fraîcheurs de la jeunesse. M. Lévy n’a pas fait un chef-d’œuvre, mais il a fait un très bon tableau. Ce serait le traiter cependant avec une légèreté dédaigneuse que de ne pas lui dire la vérité tout entière et de ne pas lui adresser quelques critiques dont peut-être il pourra tirer parti.

L’ordonnance générale de cette très gracieuse composition pouvait rester la même ; elle eût cependant singulièrement gagné, si la coloration et surtout la distribution de lumière eussent été modifiées : je m’étonne que M. Lévy n’y ait point songé. Au lieu de chercher un effet d’ombre chinoise, c’est-à-dire d’enlever son principal personnage, en vigueur, brune sur un fond blanc, ce qui noie les traits du visage et les fait presque disparaître dans une teinte sépia un peu froide, pourquoi n’a-t-il pas fait à peu près le contraire ? Ne valait-il pas mieux éclairer ce jeune profil et en détacher la silhouette lumineuse sur un de ces ciels bleu foncé comme M. Lévy