Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne justifie. Réunir trente personnages grands comme nature autour d’une table de jeu, les grouper au hasard sans action commune déterminée, abuser d’une facilité extraordinaire pour donner dans un tableau d’une telle dimension toute l’importance à des étoffes, c’est, comme on disait jadis en plaisantant ; l’erreur d’un homme d’esprit qui prendra sa revanche ; mais à coup sûr ce n’est point là de la peinture d’histoire. Il faut le répéter à satiété dans l’espoir qu’on sera enfin entendu : les grands tableaux ne font pas la grande peinture, et il ne suffit pas de faire des personnages de six pieds de haut pour avoir du style.

Ce que les peintres semblent rechercher avant tout aujourd’hui, et ce qu’ils atteignent presque tous, quoique à des degrés différens, ce n’est ni le style, ni la composition, ni l’ordonnance ; ni l’harmonie générale ; c’est le petit effet, le morceau réussi, l’adresse d’exécution, le tour de main ; en un mot, le métier seul les préoccupe et l’art est oublié : tendance dangereuse et que les prétendus amateurs qui achètent des tableaux n’ont pas peu contribué à encourager. L’à peu près suffit, beaucoup de toiles exposées aujourd’hui ne sont en réalité que des ébauches, et c’est ce qu’un artiste digne de ce nom ne devrait jamais se permettre. Tout est prétexte à peinture cependant, et il n’est pas besoin d’aller chercher des sujets extraordinaires pour faire un bon tableau lorsqu’on a en soi le vif sentiment de l’art ; il faut être sincère, difficile pour l’exécution, ne point tricher et ne pas s’imaginer que les tours d’adresse soient des tours de force. Quel est le chef-d’œuvre du Salon de 1867 ? C’est un tableau de fleurs, le Bouquet de roses moussues de M. Maisiat ; ce n’est pas un trompe-l’œil comme les agates et les orfèvreries de M. Blaise Desgoffes, c’est la nature prise sur le fait, et cependant c’est de l’art au large sens du mot. Si je n’aime pas la console dorée et le marbre blanchâtre qui supportent le vase de grès où baigne la gerbe fleurie, je ne puis dire combien je trouve admirables ces roses, ces boutons, ces feuilles humides, dont la contexture même est rendue, mais sans petitesse, avec une touche grasse, à la fois large et précise. Les dégradations des nuances, plus sourdes vers le cœur de la fleur, veloutées et brillantées vers le sommet, la flexibilité des tiges, la mousse légère qui côtoie et semble soutenir les pétales, la vie végétale, pour tout dire, a été saisie là et exprimée avec une intelligence extraordinaire. Il y a plus d’art dans cette petite toile, qui paraîtra peut-être insignifiante à bien des yeux, que dans les énormes tableaux prétentieux auxquels je viens de faire allusion. S’il faut absolument qu’une grande médaille d’honneur soit décernée cette année, et si elle est destinée à récompenser une œuvre d’art exceptionnelle, je crois qu’on peut la donner à M. Maisiat sans craindre de se tromper.