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Récompenses auras comme précédemment, la faculté de décerner les deux grandes médailles. » Ainsi les artistes sont punis pour avoir fait leur devoir, pour avoir voté selon leur conscience, pour avoir estimé qu’aucun d’entre eux, n’ayant produit une œuvre particulièrement belle, ne méritait une récompense particulièrement glorieuse ; le droit qu’ils ont exercé avec sagesse et convenance, on le leur retire, on le remet de nouveau au jury, qui se hâtera, selon ses habitudes, d’en user pour lui-même. Cela est fort triste et semble signifier que la médaille d’honneur est forcée, et que, coûte que coûte, il faut la donner à quelqu’un. A se laisser ballotter ainsi de règlement en règlement, à sortir de tutelle pour y rentrer aussitôt, les artistes courent grand risque de perdre autre chose que des récompenses honorifiques et de laisser quelque peu de leur dignité dans ce va-et-vient administratif, auquel il est difficile de comprendre quelque chose. S’ils eussent conservé le droit qu’on leur avait accidentellement concédé l’année dernière, il me paraît que devant le Salon de 1867 ils auraient de nouveau prouvé par leur vote qu’en l’absence d’une œuvre exceptionnelle la récompense exceptionnelle devait encore être ajournée.

L’administration est souveraine maîtresse ; elle décide à quelle époque s’ouvre ou se ferme l’exposition, quel nombre fixe de récompenses on accordera ; tout est réglé, prévu, déterminé ; on peut obtenir la croix d’honneur à l’ancienneté après trois médailles. Tout cela est ainsi aujourd’hui, et demain tout peut être remis en question par un simple arrêté ministériel. Les artistes s’inclinent faute de mieux ; on les protège, ils s’imaginent donc qu’on protège l’art, et ils ont intérêt à ne pas s’apercevoir qu’on fait diamétralement le contraire. C’est à ce système qu’on doit cet affaissement visible dont on se préoccupe, et qui chaque année semble augmenter d’un degré. Je voudrais voir appliquer aux expositions le système de la liberté la plus large ; en telle matière, ce serait peu dangereux. Chaque année, pendant trois mois, on livrerait aux artistes le Palais de l’Industrie ; ils y établiraient leur exposition comme ils voudraient, à leurs risques et périls ; sur le prix des entrées, ils prélèveraient de quoi se décerner toutes les médailles imaginables, l’état ne s’en mêlerait pas et les laisserait seuls en présence du public, qui est le vrai maître après tout, car c’est lui qui paie. Rien ne serait plus facile que de réaliser ce rêve peu ambitieux ; mais je sais qu’on n’y pense guère. L’administration et les artistes sont attachés par d’indissolubles liens ; : l’une en retire de l’importance, les autres y trouvent du profit, et ils resteront unis longtemps encore comme de vieux amoureux qui se querellent, connaissent leur côté faible, se pardonnent leurs mauvais procédés et ne peuvent se résigner à se dire adieu. Puisque M. le ministre des beaux-arts est