Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ritable, de même chez les auteurs du siècle d’Auguste, et surtout chez Ovide, il arrive souvent que la mythologie se montre et répand un air de pédanterie quand la douleur seule devrait parler.

Après un voyage long et périlleux, Ovide arriva dans la ville où il était condamné à vivre et à mourir. Il nous en a fait les descriptions les plus sombres. Quoiqu’il s’attendît à tout, la réalité dépassa ses craintes. Cette ville, qu’on appelait Tomi ou Tomis (aujourd’hui Kustendjé)[1], est située sur les bords de la Mer-Noire à quelque distance du Danube. C’était une ancienne colonie grecque, habitée en grande partie par des Sarmates qui s’y étaient fixés. Ovide sentit son cœur se serrer en y arrivant. Il est sûr que rien ne ressemble moins au pays qu’il ne se consolait pas d’avoir quitté ; le paysage y est sévère et le climat violent. Nous ne sommes pas aussi exclusifs aujourd’hui, et nous savons apprécier la beauté de sites très différens. Les grandeurs de la nature sauvage nous touchent au moins autant que l’élégance de la nature civilisée. Les voyageurs qui de Kustendjé regardent les steppes de la Dobroudcha ne se lassent pas d’admirer la majesté de ces plaines solitaires et leur monotonie grandiose ; Ovide n’était frappé que de l’aspect désolé de ces contrées. « Vous n’y verriez, disait-il, que des terres toutes nues, sans ombre, sans verdure ». On n’y connaît ni le printemps ni l’automne, on n’y voit ni moissons ni vendanges, on n’y entend jamais le chant des oiseaux. La campagne, où l’on n’aperçoit ni arbres ni maisons, ne semble être qu’une continuation de la mer. Qu’on regarde le Pont-Euxin ou la terre ferme, on n’a jamais devant soi qu’une plaine immense, nue et ondulée. Quel triste spectacle pour des yeux accoutumés à la nature gracieuse et accidentée de l’Italie et aux ombrages des villas romaines !

Il avait du reste beaucoup d’autres reproches à faire au lieu de son exil. Tomi était une conquête récente des Romains, ils n’avaient pas eu le temps de la pacifier. Les mœurs y étaient restées violentes. Les discussions devenaient facilement des batailles, et les procès finissaient par des coups d’épée. L’aspect de la ville avait quelque chose d’étrange et d’effrayant. Comme il arrive dans les pays barbares, les femmes y travaillaient plus que les hommes ; on les voyait partout écraser le grain et porter des cruches sur leur tête. Les rues et les places étaient souvent traversées par des Sarmates et des Gètes à

  1. Il ne peut plus y avoir de doute aujourd’hui sur le véritable emplacement de Tomi. Les inscriptions trouvées à Kustendjé, et dont quelques-unes ont été copiées par nos officiers pendant la guerre de Crimée, établissent que cette ville a remplacé l’Ancienne métropole du Pont. On peut consulter à ce sujet l’ouvrage intéressant du docteur Allard, intitulé la Bulgarie orientale. Toutes ces inscriptions y ont été réunies et expliquées par M. Léon Renier.