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moment qu’elle allait réussir comme les autres. Il avait été jusque-là heureux, on avait tant de confiance dans son génie et dans sa fortune qu’il ne semblait pas possible qu’il échouât. Horace, célébrant d’avance le succès de ses réformes morales aussi bien que de ses mesures militaires, disait : « L’adultère ne souille plus nos familles, les mœurs et les lois ont triomphé du vice impur. On félicite les mères d’avoir des enfans qui ressemblent à leurs époux… Qui pourrait s’effrayer du Parthe, craindre le Scythe glacé ou les sauvages enfans de la Germanie, tant que César nous reste ? » Ces vers sont bien la preuve que les poètes ne sont pas devins : de grands désastres et de grands scandales allaient bientôt montrer que le brillant tableau d’Horace n’était pas vrai, et que ni le vice ni les barbares n’étaient vaincus. Quelques années plus tard, Varus perdait ses légions en Germanie, et l’empereur trouvait des adultères à punir jusque dans son palais.

Les désordres de sa fille Julie furent une des plus cruelles douleurs d’Auguste. Il l’avait élevée avec beaucoup de soin. Elle filait la laine comme une Romaine des anciens temps, et il ne portait de vêtemens que ceux que sa femme et sa fille lui avaient tissés ; mais toutes ces précautions ne firent pas de Julie une Lucrèce. Suétone et Sénèque nous ont raconté ce qu’elle devint. Malgré leur témoignage, difficile à récuser, Wieland, dans un écrit spirituel et passionné, a essayé de la défendre. Il rappelle que c’était une femme d’esprit, douce et bienveillante, et que le peuple l’adorait. Il groupe avec art toutes les raisons qui expliquent et atténuent ses fautes. Il est certain que les excuses ne lui manquent pas. Elle avait sous le même toit qu’elle une ennemie habile et acharnée, sa marâtre Livie, qui, loin de rien faire pour la protéger contre elle-même, a dû l’aider à se perdre pour n’avoir plus de rivale dans le cœur d’Auguste. On l’avait mariée successivement à tous les candidats à l’empire. Elle passait de l’un à l’autre sans être consultée, et avec tant de rapidité qu’elle ne pouvait guère distinguer ses maris de ses amans. Quelle étrange façon d’accoutumer une jeune femme à respecter le mariage et de lui enseigner la pudeur ! Les deux derniers qu’elle épousa étaient déjà mariés, et on les força de divorcer pour lui faire place. Il lui arrivait donc, par une triste fatalité, en entrant dans une maison nouvelle, d’en chasser une femme aimée qu’on lui sacrifiait avec peine. Elle voyait pleurer son nouveau mari au souvenir de celle qu’elle remplaçait. De là sans doute des froideurs et des répugnances réciproques. Elle sentait bien qu’on ne l’acceptait que parce qu’elle apportait en dot l’empire, et elle aussi se trouvait entraînée à chercher ailleurs des liaisons où le cœur entrât pour quelque chose. Elle les trouvait parmi cette jeunesse élégante et corrompue dont elle aimait à s’en-