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son pied délicat ou la remettre », et même, quand elle est à sa toilette, tenir son miroir. Si ce métier vous répugne, n’oubliez pas, pour vous donner du cœur, qu’Hercule l’a fait avant vous. Ce n’est rien encore, et le poète demande davantage. Après avoir supporté ses fantaisies, il faut fermer les yeux sur ses infidélités. On doit savoir souffrir un rival. Le sacrifice est grand, Ovide prévoit qu’il coûtera beaucoup, et il avoue même que pour sa part il n’a jamais pu s’y résigner. C’est une imperfection dont il s’accuse humblement, et il espère bien en guérir ses élèves. Les maris ont à la rigueur le droit de se fâcher ; mais dans le monde où il se place, quand le caprice forme seul les liaisons, ces colères sont ridicules, et Ovide profite de l’occasion pour rappeler de nouveau que les préceptes qu’il donne ne sont pas destinés aux gens mariés. « Je l’atteste une fois encore, il ne s’agit ici que des plaisirs qu’autorise la loi. Ma muse légère se garde bien de plaisanter avec les honnêtes femmes ».

Malgré toutes ces précautions, l’Art d’aimer lui fit plus de tort que les Amours. Tant qu’il s’était contenté de raconter ses aventures galantes, on l’avait laissé dire. Tibulle et Properce, qui étaient dans toutes les mains, avaient habitué à ces confidences ; mais froidement, de propos délibéré, mettre ses actions en préceptes, écrire la théorie de cette vie légère qu’il avait menée, étaler la prétention de l’enseigner aux autres et de faire des disciples, c’était plus grave. Ovide nous dit qu’il fut très attaqué. Il songea même à désarmer ses ennemis par une sorte de désaveu de son livre ; il publia ce qu’il appelait ses Remèdes d’amour. Malheureusement la vertu ne lui réussit pas. Les Remèdes d’amour sont un ouvrage ennuyeux, qui ne pouvait pas guérir le mal qu’avait fait l’Art d’aimer, et qui ne contenta personne.

Ce n’étaient pas seulement quelques esprits chagrins et austères qui se montraient irrités contre lui, c’était un parti tout entier qui a toujours été très puissant à Rome, celui des vieilles mœurs et des anciens usages. Ce parti avait bien des raisons de lui en vouloir. Il ne le blessait pas moins par sa conduite que par ses écrits. Sa naissance le destinait aux fonctions publiques, et il avait paru d’abord s’y résigner. On l’avait vu remplir avec quelque honneur les dignités qu’on donnait les premières aux jeunes gens de bonne maison ; mais ce zèle se refroidit vite. Au moment où l’accès du sénat lui était ouvert, son ambition s’arrêta court, et tout d’un coup il rentra dans la vie privée. Il pouvait comme un autre devenir préteur ou consul ; il ne voulut être qu’un poète. Nous n’en sommes pas fort scandalisés aujourd’hui, mais alors il semblait aux gens nourris des traditions anciennes qu’en renonçant aux fonctions publiques on trahissait son pays. Ces sortes de trahisons n’étaient