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maîtres de leurs destinées ; c’est parce qu’ils ne s’appartiennent point ; c’est parce qu’ils ont placé au-dessus d’eux des hommes qui, sans les consulter, sans les prévenir, par des voies obscures, par des combinaisons ourdies dans le mystère, entre quelques intéressés, ont le pouvoir de les compromettre dans les entreprises, les plus téméraires et les plus violentes. La continuation en Europe des autorités despotiques et de pouvoirs qui sont en mesure de mettre les ressources de la dictature au service de leurs vues secrètes, voilà le suprême danger dont elle n’a point cessé encore d’être menacée, voilà la cause immanente des sacrifices que les peuples européens font toujours à la guerre, voilà le grand agent de la barbarie persistante qui étonne, torture et humilie l’intelligence humaine. Quand on arrive à cette cause première des malentendus qui divisent encore de grandes nations et des calamités qu’elles sont exposées à s’infliger mutuellement par la guerre, il semble que deux peuples aussi avancés que ceux de France et d’Allemagne devraient s’unir dans une même inspiration et dans un même effort pour secouer un tel joug. Pour les Allemands, comme pour nous, il n’y aura de paix et de véritable gloire humaine que dans la liberté. Des deux nations, la plus influente et la plus heureuse, qu’on en soit sûr, sera celle qui prendra la première possession d’elle-même par la liberté, qui se soustraira la première au gouvernement personnel des cours, qui renoncera la première avec sincérité aux ambitions d’agrandissement, qui désavouera la première les menées de la politique secrète, qui parviendra la première à discuter ses affaires au grand jour, en pleine franchise et avec une loyale confiance dans la raison et l’équité de ses voisins. Si la France au moins, qui n’a plus d’expérience à faire en matière de politique secrète et personnelle, avait assez de flamme patriotique et de courage désintéressé, pour porter ses institutions intérieures au niveau d’un libéralisme élevé, elle retrouverait la sympathie des peuples, elle pourrait les guider par de généreux exemples, elle leur communiquerait de nobles émulations, elle anéantirait bientôt chez eux par une force morale irrésistible les influences perverses qui les excitent et les arment contre nous.

Cet incident du Luxembourg fournit matière à des pensées graves ; il a aussi son côté, comique. L’alarme sourde à laquelle il a donné lieu pendant quelques jours a été un singulier phénomène. Le caractère de cette émotion tournait au fatalisme idiot. Il y avait des gens en très grand nombre qui proclamaient la guerre inévitable avec une sorte d’opiniâtreté stupide, comme s’ils eussent reçu communication des pages fatidiques que les enfans divins passent aux sibylles de Michel-Ange. Suivant eux, le roi de Prusse voulait la guerre, M. de Bismark la voulait, le gouvernement français la voulait. Les précautions militaires prises en France, qui ne sont que la préparation naturelle et régulière que l’administration eût dû opérer depuis longtemps, — qu’il eût fallu entreprendre même dans les