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hasards ? n’y a cinq ans, notre politique étrangère avait inventé l’entreprise du Mexique ; on sait les sacrifices militaires et financiers que nous a coûtés cette aventure ; on a vu la perspective du conflit auquel elle nous a exposés avec les États-Unis ; on a vu que nous avons obéi trop tard par une retraite sommaire aux conseils de la circonspection ; on assiste aujourd’hui à la fin lamentable de ce triste et malheureux prince qui s’était prêté comme un instrument à nos desseins. Or ce qui frappe dans cette affaire mexicaine, c’est que les pensées et les intérêts de la nation française n’ont été pour rien dans la conception et la conduite de cette guerre. Jamais la France agissant comme nation dans sa liberté constitutionnelle n’aurait eu l’idée d’aller renverser au Mexique un gouvernement républicain pour fonder un empire ; jamais elle n’aurait eu le caprice de tenter la régénération des races latines en Amérique ; jamais elle n’eût eu le désir de profiter de la détresse des États-Unis pour se donner la tâche de poser des limites à leur expansion. L’expédition du Mexique, qui nous a donné tant de déboires, n’est point sortie de la spontanéité de la France. Ce n’est point non plus un mouvement national qui, en 1863, nous a portés à soulever la question polonaise, terminée en ce moment par la rentrée d’une vingtaine de volontaires français qui avaient été transportés en Sibérie. Ce n’est point une tendance de l’esprit public français qui nous a portés, en 1864, à renoncer à notre belle politique traditionnelle de la protection des états faibles et à laisser succomber le Danemark sous l’agression austro-prussienne. Ce n’est point l’instinct national qui, en 1866, à consenti de gaîté de cœur à laisser éclater la guerre par laquelle a été si brusquement et si gravement changée la constitution politique et militaire de l’Allemagne. Ce n’est point enfin la France qui a eu la convoitise, innocente au fond, si l’on veut, mais inopportune et périlleuse d’acheter le Luxembourg. Si l’on examine froidement et impartialement cette politique qui a produit en cinq années des résultats si onéreux pour nous, on ne peut se défendre de remarquer qu’elle n’a point eu son origine dans l’inspiration du pays et qu’elle n’a point eu à en subir le contrôle, qu’elle a été une œuvre initiative individuelle, qu’elle n’est point sortie de la marche naturelle des choses, qu’elle ne s’est point conformée à ces belles routines traditionnelles où le passé nous a légué la sagesse de son expérience, qu’elle a voulu être créatrice, qu’elle marchait vers l’exécution de desseins particuliers dont le succès était presque toujours contrarié par la surveillance inquiète ou la défiance vague qu’ils excitaient. Que l’on s’interroge avec franchise : n’est-il pas aussi clair que la lumière du jour que si cette politique n’eût eu qu’à suivre le courant des intérêts et des inspirations du pays au lieu d’avoir la puissance de s’en écarter, de le devancer ou de le précipiter, — que si cette politique, liée par une réelle et forte série de responsabilités, n’eût pu envelopper ses desseins et ne les découvrir que par des révélations incomplètes, successives, attardées ; — que si