Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est que juste de dire que notre curiosité au moins est satisfaite ; mais notre esprit de justice réclamait davantage, et nous en voulons presque au séducteur marié de s’en tirer à si bon marché, à la jeune femme de ne pas avoir accompli la vengeance à laquelle elle avait droit, et à l’auteur de n’avoir pas placé auprès d’elle un amoureux moins transi que M. Dolfin, caractère bizarre et vrai, fort bien étudié, mais auquel nous aurions préféré, dans l’intérêt d’une morale bien entendue, un simple jeune premier de théâtre sentimental.

Nous devons parler, pour être tout fait complet, du dernier, livre de l’auteur : le Grand Œuvre ou Entretiens sous un châtaignier. Des six volumes que nous devons jusqu’à présent au jeune auteur, c’est à notre avis le moins réussi, C’est une erreur commise avec talent, mais enfin c’est une erreur, pu plutôt c’est la première épreuve d’une œuvre remarquable qui, pour une raison ou une autre n’est pas venue, nettement dans le moule où l’auteur l’a jetée. La vérité, je crois, est que le sujet auquel il a voulu appliquer cette fois les méthodes capricieuses de son maître Töppfer, s’est trouvé trop robuste pour l’étreinte de cette logique en zigzag, et trop large pour le cadre restreint où il a essayé de l’enfermer. Il est des sujets qui, pour être traités comme ils méritent de l’être, ne redouteraient pas l’in-folio, et celui-là, est du nombre. L’auteur a voulu passer en revue les différentes solutions qui ont été données de la fin des sociétés humaines, discuter le fort et le faible de chacune de ces solutions et les embrasser toutes dans une conclusion optimiste issue du syncrétisme hégélien. Pour ce faire, il a choisi trois interlocuteurs dont chacun représente un des trois principes qu’on peut assigner comme moteurs au train des choses d’ici-bas, la Providence, le hasard, la nécessité. Or chacun des interlocuteurs plaide si bien sa cause, possède par de si bons arguments, que l’auteur semble embarrassé de choisir, et que sa conclusion paraît beaucoup moins celle d’un hégélien optimiste que celle d’un sceptique de nature bienveillante. S’il faut dire toute ma pensée, je crois que l’auteur ne s’est embarrassé dans ses conclusions que parce qu’il n’a qu’une foi pleine de doutes aux doctrines qu’il déclare siennes, et son titre le dit assez clairement pour qui sait bien lire : le grand œuvre ! Le grand œuvre ! mais n’est-ce pas le nom que les alchimistes du moyen âge donnaient à la transmutation chimérique qu’ils poursuivaient, et n’y a-t-il pas une ironie cachée dans ce titre qui assimile la doctrine du progrès à la pierre philosophale ? L’auteur voudrait plus croire au progrès qu’il ne peut parvenir à y croire en réalité ; il fait tous ses efforts pour se