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de nostalgie, le jeune soldat finit par perdre dans l’oisiveté de la caserne et les dissipations des villes de garnison ses habitudes sobres et laborieuses. A cet âge, il ne faut pas sept ans pour contracter sans y penser de nouveaux besoins, de nouveaux goûts, de nouveaux liens. L’image du toit natal s’enfonce peu à peu dans le lointain de la mémoire ; souvent il arrive que ce qu’on aimait là-bas, ce qui vous y aurait rappelé a disparu ; la mère est morte, le champ est vendu, la sœur est mariée et n’a pas besoin de vous. Sans s’attacher au drapeau, on s’est insensiblement détaché de la famille. Le temps de service achevé, au lieu d’aller en homme libre demander le pain de chaque jour au pénible travail dont on n’est plus coutumier, on quête une livrée et l’on va le plus souvent utiliser dans les antichambres ses habitudes d’oisiveté et d’obéissance passive.

N’apporter autant que possible aucun long obstacle au mariage, tel est le problème vital pour la France qui s’impose aux méditations de nos législateurs, et, sans entrer dans le détail de questions spéciales qui ne sont pas de ma compétence, car ce n’est que comme médecin que j’ai pris part à nos guerres, je voudrais que le service militaire fût obligatoire pour tous, très limité dans sa durée, et dans tous les cas n’imposât que trois ans, quatre ans au plus de célibat. Sans doute une telle armée faciliterait peu les lointaines aventures et les guerres de conquête, mais elle serait assez forte pour protéger l’indépendance nationale, et la liberté intérieure, le travail, la civilisation, n’y perdraient rien. N’est-il pas temps que les transformations opérées dans les idées se traduisent par des modifications dans nos institutions militaires ? Comme la politique qu’elles ont mission de défendre, les armées doivent se modifier.


LEON LE FORT.