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Cette opinion est aussi la nôtre. Cependant, si la musique veut absolument se prendre à certaines grandes œuvres de la poésie, la forme instrumentale avec chœurs, adoptée par Beethoven dans la neuvième symphonie serait encore celle qui conviendrait le mieux. M. Berlioz, a trop lu Shakspeare, il a de cette intelligence incommensurable un sentiment trop juste, trop profond pour jamais se risquer dans les aventures théâtrales. Faire de ces réductions à l’italienne où à la française de Roméo ou d’Hamlet, il n’y consentirait ; mais on peut toujours méditer sur l’œuvre d’un poète, la commenter musicalement, témoin les ouvertures de Coriolan et d’Egmont, la sonate écrite par Beethoven après une lecture de la Tempête, les rêveries de Mendelssohn sur le Songe d’une Nuit d’été. Et voyez le cas particulier, il se trouve que cette symphonie de Roméo et Juliette touche de plus près au vrai drame que l’opéra du Théâtre-Lyrique, qu’elle serre plus étroitement, je ne dirai pas seulement l’esprit du poète, mais les situations de sa pièce. La vigoureuse scène d’exposition, écartée ailleurs, forme ici le prologue. On assiste aux démêlés de la valetaille, à ce crescendo qui fait la traînée de poudre, et du plus bas monte en un clin d’œil jusqu’au prince. La mélancolie de Roméo songeant à Rosalinde compose l’introduction du premier morceau, que termine en brillant allegro le bal chez les Capulets. Pour l’adagio, la scène du bal s’offrait d’elle-même, et le finale décrit et développe les caractères et les incidens de la tragédie. Quant au scherzo, la reine Mab devait naturellement en fournir le sujet. Là du moins nous apparaît dans le charmant éclat de sa verve humoristique l’aimable personnage de Shakspeare, qui n’est dans l’opéra qu’un assez triste comparse. « L’orgueil de Mantoue, dit Ovide, c’est Virgile ; mais la joie de Vérone, c’est Catulle ! » Ce Catulle, il faut que Shakspeare l’ait connu, car le seigneur Mercutio a comme un faux air du joyeux ancêtre véronais ; quel dommage qu’à son tour M. Gounod ait si peu connu Mercutio ! Écoutons ce scherzo de la symphonie, Mendelssohn lui-même ignore l’infinie ténuité de ce langage ; on dirait un orchestre de moucherons, mystères d’une nuit de mai ! bruissemens sourds des elfes causant avec les roses, chuchotemens de violettes ! Dans l’adagio, vous avez comme une illustration musicale de la scène du balcon. Ici Roméo, là Juliette, les voix s’appellent et se répondent, le dialogue s’établit : d’un côté les voix plus graves de l’orchestre, les altos, les violoncelles, les bassons et les cors, de l’autre, les soprani, violons, flûtes, hautbois et clarinettes. Et les idées et les périodes se succèdent, traduisant les émotions des personnages évoqués. Des nuages de la rêverie, insensiblement le chant se dégage, intime, tendre, passionné ; le violoncelle récite une phrase à