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Montrer aux honnêtes gens qu’il connaît cette formule, ainsi que la manière de s’en servir. « Dépêchez-vous d’user de ce remède pendant qu’il est en train de guérir, » disait un médecin homme d’esprit. La recette du fameux docteur de Munich est un peu de ce genre. Nous l’employons à tout pour le moment, et, comme c’est principalement de la mélodie qu’elle a pour objet de guérir son monde, il va sans dire qu’elle trouve des cliens fanatiques, parmi ceux-là surtout que le mal n’a jamais affectés. Quoi qu’il en soit, cette drogue-là fait son chemin ; les uns l’emploient à haute dose, et tout aussitôt on les voit crever, tandis que d’aubes, mieux avisés, M. Gounod par exemple, ne la mêlent à leur économie que dans une sage mesure. Le wagnérisme a cela de bon qu’il nous sert généralement à maximer notre impuissance. La mélodie me tient rigueur, périsse la mélodie ! Je n’ai jamais su ni construire un finale, ni développer un morceau d’ensemble, proclamons le règne de la mélopée, que nous appellerons la mélodie continue, justement parce qu’il n’y a pas de mélodie : lucus a non lucendo ! Ce qu’une saine interprétation de la doctrine ne saurait approuver chez M. Gounod, c’est son hésitation. Sans aucun doute, il croit au wagnérisme ; mais sa pratique a des lacunes, sa foi ne s’étend point au-delà, de telle ou telle circonstance. Que le système cesse un moment d’être un prétexte à son manque d’inspiration, et l’inconstant disciple s’empressera de tourner le dos au système ; qu’une mélodie lui parte aux pieds tandis qu’il est en train de piocher le sol de la mélopée, et soudain il va planter là sa stérile besogne pour courir après la mélodie, fût-ce une valse, un pont neuf. En ce sens, M. Gounod me rappelle cette belle dame du siècle dernier qui à la cour, au théâtre, dans les salons et jusque sur le turf, bataillait pour Tannhäuser et Lohengrin, et, rentrée chez elle, dans l’intimité, n’avait pas de plus exquis régal que de jouer à tour de bras sur son clavecin les motifs de la Belle Hélène, de la Vie parisienne et de la Grande-Duchesse de Gerolstein !

Le Roméo et Juliette de Shakspeare m’apparaît comme un immense contre-point, comme la fugue la plus savante, la plus forte, la plus vaste qui se puisse écrire sur le thème amour. Tout le domaine est parcouru, mesuré, décrit par le poète, de la fleur la plus tendre au fruit en sa plénitude, de la hauteur à l’abîme, de la joie et de la folle ivresse à l’infortune la plus navrante, au désespoir, à la mort ! Et le secret de la prodigieuse attraction de ce drame, de son irrésistible intérêt, c’est qu’il ne représente pas seulement cet amour, mais l’amour, — l’amour dont tout être vivant et pensant a plus ou moins senti l’atteinte. Rayon du ciel, étincelle divine tombée d’un globe supérieur sur notre terre de misère, l’amour ne saurait jamais s’amalgamer avec le monde. Quoi qu’il fasse, il lui