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écrites par la plume d’un Mendelssohn. M. Gounod se complaît à ces divagations.

On prétend que le véritable sens d’une lettre se doit lire dans les interlignes ; c’est dans ces morceaux à côté, dans ces intermèdes, qu’il faut étudier les partitions de M. Gounod. Je dis les partitions, car il en est de celle-ci comme des autres : absence complète de vie dramatique, de vérité, de couleur, d’originalité dans la peinture des caractères, et dans l’expression des sentimens le style conventionnel de la tragédie classique ; en revanche, un luxe inouï d’accessoires, mille floraisons plus ou moins parasites, des méditations en majeur et en mineur, des préludes, des suites pour l’orchestre et pour les voix, des feuilles d’acanthe fouillées dans le plus pur Paros par le ciseau le plus savant. Il se peut qu’au théâtre M. Gounod n’occupe qu’un rang secondaire, qu’il passe pour un peintre assez médiocre des passions, toujours est-il que je ne connais pas de plus fin, de plus expert ornemaniste. Que de curiosités amusantes dans cette partition, et quel choix avantageux des plus jolis dessins sur étoffe ! Une ouverture à compartimens comme dans le Vaisseau fantôme, des processions avec la croix et la bannière et l’orgue comme dans Mireille, des estocades et des papotages d’amoureux à la fenêtre comme dans Faust ! Avec cette manie qu’on a de ne plus faire de pièce et de tailler brutalement dans un chef-d’œuvre les cinq ou six scènes principalement pittoresques qu’on présentes au public en manière de tableaux sans se donner la peine de les relier entre elles par le moindre ressort dynamique, on en arrive à produire cette mirifique illusion qu’il vous semble toujours assister au même spectacle. « Ça, Roméo et Juliette, s’écriait plaisamment un de nos voisins de stalle ; mais non, c’est encore Faust et Marguerite, vous verrez que nous n’en sortirons jamais ! Il n’y a que le décor de changé ; ce qui se passait côté cour se passe maintenant côté jardinou vice versâ, voilà l’unique différence. » A quoi nous aurions pu répondre : « Vous vous trompez, c’est bien Roméo et Juliette qu’on a voulu faire, mais si peu qu’en vérité Shakspeare ne s’y reconnaîtrait pas ! »

Steibelt, Zingarelli, Vaccaï, Bellini, avaient-ils donc tari la source, épuisé tout ce qu’il y avait à dire, et fallait-il absolument s’en tenir à l’éternelle anecdote des amans de Vérone ressassée par les librettistes italiens ? Aujourd’hui comme avant, le Roméo et Juliette de Shakspeare reste à faire. Qui ne se rappelle cette magnifique exposition d’un mouvement si beau, si entraînant, si musicalement dramatique, véritable prologue de la pièce, auquel on a substitué une exhibition de figures de cire récitant une mélopée ? Toujours des tableaux vivans, des vignettes qu’on encadre dans de la musique ! Shakspeare ne connaît, lui, ni ces mignardises ni ces trucs ; il va