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susceptible d’extension territoriale et par cela même dangereux pour les nations voisines, dont il a déjà englouti quelques-unes, présageant ainsi le sort réservé aux autres, si une intervention puissante ne met obstacle à ses envahissemens. » Quelle serait dans sa pensée cette intervention puissante ?… En même temps il exprime sur les doctrines wahabites un tel mépris qu’il ne saurait logiquement leur attribuer la moindre influence sur la politique de l’Orient.

Il ne faut pas oublier que. M. Palgrave est affilié à l’ordre des jésuites ; par conséquent on lui pardonnera de ne point juger froidement la religion de Mahomet. A ses yeux, le Coran avec ses doctrines fatalistes et ses rites multipliés n’est qu’un instrument de démoralisation et de servitude : il réduit à néant la volonté, supprime la vertu, détruit la famille, absorbe toutes les forces du corps pour annuler l’influence de l’âme, et fait de l’homme un être dégradé, violent et sensuel, aveuglé par le fanatisme et incapable de progrès. Il s’est rencontré, même parmi les chrétiens, des esprits plus indulgens qui ont essayé de dégager du Coran, sinon les élémens d’une croyance religieuse, du moins certains principes de conduite morale. Quoi qu’il en soit, on voudrait pouvoir déterminer le caractère exact de la doctrine wababite, qui règne sur l’Arabie centrale, en opposition avec le mahométisme, que professent les docteurs de Constantinople et de Damas. Or, sur ce point, l’avis de M. Palgrave ressemble plutôt à un réquisitoire qu’à un éclaircissement, et sa discussion, où l’ironie et l’injure tiennent la plus grande place, ne produit pas la lumière. Autant que l’on peut en juger d’après les indices les plus apparens, le wahabisme serait le retour à la règle primitive et aux pratiques ordonnées par Mahomet, une sorte de protestation contre les commentateurs qui ont altéré les textes ; il aurait pour mission de ramener les fidèles à l’observance méconnue des lois du Coran. Wahab n’est donc pas un second prophète ; il n’est que l’écho de Mahomet, seul et unique prophète, dont la voix risquait de se perdre à travers les générations oublieuses et corrompues. De là l’austérité dans les formes du culte wahabite, le mépris des tombeaux et de tout ce qui tient à l’âme, l’horreur du luxe et des jouissances, que Mahomet n’a point permis, et, pour ne citer que deux exemples, l’interdiction absolue de la soie et du tabac, la force mise au service de la propagande, comme au temps où le serviteur de Dieu prêchait par le glaive, la guerre sainte érigée en principe et l’obéissance aveugle commandée aux croyans. Voilà quel serait le wahabisme, qui prétend infuser un sang plus jeune dans les veines du mahométisme décrépit, pour soumettre l’Orient et sans doute aussi le monde entier à la doctrine du Coran : prétention qui semble en vérité bien innocente, que ne peuvent justifier les premiers succès de la