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régnante. Saisissons au passage ce lambeau d’histoire arabe, sans remonter pourtant bien haut, car on risquerait de se perdre dans les Mille et une Nuits. — Au commencement de ce siècle, le Djebel-Shomer fut soumis, comme le reste de la péninsule, à l’invasion du premier empire wahabite ; mais il parvint bientôt à secouer le joug, et, redevenu maître de ses destinées, il confia le pouvoir à une ancienne famille indigène, celle des Beyt-Ali. Les nouveaux souverains gouvernaient en monarques trop absolus ; le parti des mécontens s’accrut de jour en jour, et il prit pour chef le jeune Abdallah, d’une noble famille du Shomer. Abdallah leva l’étendard de la révolte ; ses débuts furent heureux, il se rendit maître d’Hayel et fut reconnu roi, pendant que les Beyt-Ali se retiraient à Kefar, seconde ville du Djebel, qui leur était demeurée fidèle. La guerre civile se prolongea. La fortune des armes fut à la fin contraire à Abdallah, qui, dans une dernière rencontre, essuya une défaite complète, vit tomber autour de lui tous ses partisans, et, couvert de blessures, fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Ici se place la légende, qui ne saurait perdre tous ses droits dans une histoire arabe. « Abdallah était étendu sans mouvement ; son sang coulait à flots ; le héros allait expirer, quand les sauterelles du désert se réunirent autour de lui, et, à l’aide de leurs pattes et de leurs ailes, couvrirent ses plaies de sable chaud. Ce pansement retint dans ses veines la source de la vie ; en même temps une bande de katas, sorte de perdrix commune dans ces régions, voletait autour de sa tête pour le protéger contre l’ardeur du soleil… » Survint un marchand de Damas qui se rendait de Djouf en Syrie ; il aperçut le jeune chef, en eut pitié, banda ses plaies, le plaça sur un chameau et l’emmena dans son pays. A peine guéri, Abdallah, confiant dans son étoile et brûlant de venger sa défaite, repartit pour la péninsule ; mais, au lieu d’aller directement dans le Djebel-Shomer, il gagna le Nedjed, et offrit ses services au souverain wahabite, qui luttait alors contre l’invasion égyptienne et cherchait à reconquérir les provinces qu’il avait perdues. Par sa bravoure et par ses talens militaires, Abdallah ne tarda pas à obtenir le grade de général ; les expéditions les plus importantes furent confiées à son commandement, et il sut se rendre si utile que le roi de Nedjed, Feysul, pour s’acquitter envers lui, le nomma vice-roi du Djebel-Shomer, déclara ce titre héréditaire dans sa famille, et mit à sa disposition une armée wahabite avec laquelle il revint dans ses anciens états, se rendit secrètement maître de Hayel et détruisit la race des Beyt-Ali. Cette fois il fut le souverain acclamé et incontesté du Shomer sous la suzeraineté du roi wahabite, suzeraineté lointaine et assez légère, qui lui laissait une grande liberté d’action. A sa mort, son fils aîné, Telal, lui a succédé, et depuis vingt ans environ il gouverne en