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dispersa ; mais les deux voyageurs, qui ne savaient où aller, prirent le parti de s’étendre sur un banc de pierre et d’attendre les événemens.

A quoi tiennent les choses en ce monde et à quel fil sont suspendus les plus beaux desseins ! Depuis plus d’un mois, M. Palgrave avait pu circuler en pays arabe sans qu’aucun indice, aucune imprudence eussent trahi sa qualité d’Européen. Il avait traversé sans encombre les villes, les villages, les tribus ; les déserts s’étaient ouverts devant lui, les chameaux l’avaient porté comme un compatriote, les Bédouins l’avaient épargné. Il semblait qu’il fût complètement passé à l’Arabe et que son origine européenne fût à l’abri de tout soupçon et de toute recherche. Et voici que parmi les curieux qui l’entourent au seuil du palais d’Hayel se présente un individu qui l’a connu à Damas, puis un autre, puis un troisième qui prétend l’avoir rencontré en Égypte. Il est perdu ; son masqué tombe, et l’Européen va se trouver exposé, seul et sans défense, à la fureur d’une population fanatique. Cependant, à force de sang-froid et d’impudence, il faut bien le dire, M. Palgrave réussit à se tirer de ce mauvais pas ; il a recours au seul moyen qu’emploient les grands coupables : il nie, il nie énergiquement, et il finit par démontrer qu’on le prend pour un autre, que ses prétendus amis de Damas et d’Égypte ne savent ce qu’ils disent, et, par un flux de démonstrations qu’il entremêle de versets du Coran et de proverbes indigènes (il manie admirablement la langue arabe), il repousse bien loin ces imposteurs, qui pourraient lui arracher la vie ou tout au moins le faire expulser honteusement. Dans la relation de M. Palgrave, la scène avec ses détails est vraiment drolatique ; nous ne la citons que pour montrer les périls incessans et inattendus qui menacent l’Européen sur le territoire arabe. A chaque pas, le moindre incident peut tout compromettre, et il y va de la vie. On ne se figure pas ce qu’il faut d’énergie et de présence d’esprit à ces voyageurs qui se dévouent, pour l’amour de l’art ou de la science, à l’exploration des pays inconnus. C’est une lutte continuelle non-seulement contre la nature et les influences meurtrières du climat, mais encore contre les hommes et leurs passions ou leurs préjugés, plus périlleux mille fois et plus difficiles à vaincre. Si M. Palgrave n’avait point triomphé de cet incident en apparence si vulgaire, il n’aurait pu poursuivre son hardi voyage, ni son amusant récit.

Grâce à son aplomb, M. Palgrave, au lieu d’être ramassé comme un vagabond sur la place publique d’Hayel, fut accueilli comme un hôte dans le palais du roi Telal. Le certificat du gouverneur de Djouf lui servait de lettre d’introduction et lui valut immédiatement Une audience du roi, ainsi que l’amitié de l’un des principaux ministres, qui lui raconta l’histoire du Djebel-Shomer et de la dynastie