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semblaient plus morts que vifs, et je n’avais pas, j’imagine, meilleure figure ; néanmoins, malgré les avertissemens du guide, je voulus sortir pour voir comment nos chameaux avaient supporté la tempête ; ils demeuraient toujours étendus sans mouvement sur le sol. L’obscurité était encore profonde, mais bientôt le jour reparut avec son éclat accoutumé. Chose singulière, pendant toute la durée de l’ouragan, aucun tourbillon de poussière ou de sable ne s’était élevé ; aucun nuage ne voilait le ciel, et je ne sais comment expliquer les ténèbres qui tout à coup avaient envahi l’atmosphère. » Voilà le vrai simoun, et l’on comprend après cela comment des caravanes entières de pèlerins, surprises en plein désert, ont disparu et dorment à jamais couchées sous les sables d’Arabie !

On voit qu’il ne faut pas s’attarder dans le désert. Devant la rencontre possible et foudroyante du simoun, les minutes gagnées valent des heures. On marche, on marche toujours, dix-huit heures sur vingt-quatre ; les jambes des chameaux se prêtent docilement à ce rude service. A peine fait-on halte trois heures pendant la nuit, et autant pendant le jour. A défaut de tente (car ce serait un appareil trop encombrant), on s’accroupit à l’ombre des bagages. On en est quitte pour compléter sa ration de sommeil en dormant au balancement peu agréable de sa monture, et l’on n’éprouve point le regret d’avoir fermé les yeux aux beautés du paysage : c’est toujours le même océan de sable, inondé de soleil ou d’ombre, qui déroule au loin ses aspects monotones et désespérés. La seule distraction, si c’en est une, est le moment du repas. Et quel festin ! Des dattes sèches, un gâteau de farine grossière mélangée de sel, pétrie par la main crasseuse des Bédouins dans l’eau vaseuse des outres et cuite sur un feu d’herbe et de bouse de chameaux : ordinaire plus que maigre, dont les voyageurs durent se contenter pendant huit longs jours, jusqu’à ce qu’ils eussent atteint la vallée de Djouf, heureux encore de n’avoir point épuisé leur provision de farine et d’eau saumâtre et de n’être point morts de faim !

Les poètes qui ont chanté les beautés du désert n’ont pas manqué de célébrer ses rares habitans, c’est-à-dire le Bédouin et le chameau. Que n’a-t-on pas écrit sur la vie simple et pastorale du Bédouin, sur les vertus et les mérites du chameau, ce noble vaisseau du désert ! Encore des illusions que nous enlève presque brutalement M. Palgrave. A ses yeux, le Bédouin nomade est un type complet de sauvagerie et d’abrutissement. Que l’on ne s’avise pas de chercher sous la tente l’image de l’innocence primitive, ni la tradition immaculée de la foi musulmane : on n’y trouve au contraire qu’ignorance stupide et mauvais instincts, la promiscuité et le vol. On remarque bien chez les tribus qui habitent le voisinage