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rues changent de nom tous les huit jours, où Thésée se perdrait malgré le fil d’Ariane. On interroge le postulant. Soyez certain qu’on ne lui demande pas la route à suivre pour aller de la place de la Concorde à l’Arc-de-Triomphe ; mais on lui dira : Par quel chemin irez-vous de l’impasse Saint-Sabin à la rue de l’Épée-de-Bois ? Si le candidat répond mal, il n’obtient pas son diplôme ; mais, dès qu’il a passé un examen suffisant, il est nommé cocher adjoint ; il a payé 25 francs pour prix des leçons de dressage qu’on lui a données, il dépose un cautionnement de 200 francs pour garantir le paiement de ses futures amendes, il monte sur son siège, entre en circulation, et au bout de six mois, s’il n’a pas trop accroché, n’a pas trop injurié les passans, ni trop volé l’administration, ne s’est pas trop grisé, ne s’est pas trop battu avec ses camarades, n’a pas trop gardé pour lui ce qu’on avait oublié dans sa voiture, n’a pas eu trop de démêlés avec la police, il devient cocher titulaire.

La Compagnie générale a deux ateliers de construction, l’un situé rue Stanislas, l’autre rue du Chemin-Vert. Nous visiterons le premier, qui couvre une étendue de 15,000 mètres de terrain. Les matières y arrivent à l’état brut, elles en sortent sous forme de fiacres, de coupés, de victorias, de voitures de grande remise. Les bâtimens sont divisés en deux parties bien distinctes : les magasins et les ateliers proprement dits. Les magasins renferment en quantité considérable tout ce qui est nécessaire à l’attirail complet d’une voiture : draps pour tentures, cuirs pour capotes, poignées pour portières, passementeries pour embrasses, mérinos rouge pour stores, paillassons pour garnir le fond des voitures, boutons de faïence pour faire mouvoir la sonnette d’appel, musettes et couvertures pour les chevaux, bottes de fouets, paquets de crins ; tout est rangé, étiqueté et ne sort du magasin que sur un bon signe du chef d’atelier. Plus loin sont empilés les ressorts, les essieux, les cercles de moyeux, les écrous, les clous, les vis, les lanternes, les crochets d’italienne, les boucles de harnais, les mors, les marchepieds, tous de dimensions réglementaires et en rapport mathématique, avec chacune des espèces de voiture que fabrique la compagnie. Dans des greniers longs et étroits qui font le tour de la maison, on a disposé dans un ordre parfait tous les morceaux de bois ouvrés qui entrent dans la construction des voitures. Les essences sont différentes selon les parties : la carcasse est en frêne, les brancards en chêne ou en noyer, les panneaux en orme, la doublure de l’impériale de tôle est en sapin. Chaque catégorie de voitures a sa chambre particulière : ici, le trois-quarts (c’est le nom administratif du fiacre), là le coupé, plus loin la Victoria. Chaque voiture représente un nombre, de casiers égal au nombre de pièces