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nécessaire pour terminer sur le ton classique. Et maintenant n’est-il pas inutile de montrer combien la fatalité sur le théâtre d’Athènes différait de ce fatalisme, combien elle était pénétrée de l’esprit même de la religion ? La seule étude que nous venons de faire de cette tragédie ne prouve-t-elle pas que nous la considérons comme une œuvre entièrement différente des conceptions grecques ? Si Atalanta n’avait été qu’un pastiche de l’antiquité, nous l’aurions laissée à la curiosité des philologues. Dans son cadre grec, elle est une œuvre moderne ; tout y est moderne au fond, pensées, sentimens, paradoxes, déclamations religieuses, tout, jusqu’à ce paganisme mutilé, qui, ne pouvant rendre à la vie les anciennes lois morales, essaie de se passer de toute loi morale. Saisir ces caractères dans l’œuvre la plus parfaite et la plus pure de M. Swinburne, n’est-ce pas indiquer d’avance les conclusions auxquelles doit nécessairement aboutir la lecture de tous ses écrits ?

Le drame de Chastelard n’a pas eu le succès d’Atalanta. C’était une tentative hors du cadre classique ; il fallait bien s’attendre que le poète ne recommencerait pas si vite l’épreuve périlleuse d’une lutte avec les maîtres grecs et d’un genre de tragédie médiocrement populaire à cause des allures archaïques. Pour que la tentative fût heureuse, il fallait sortir des abstractions, créer des personnages de chair et d’os, des êtres vivans, individuels comme ceux de Shakspeare. Malgré les brillantes et vigoureuses pages de l’œuvre nouvelle, elle ne remplit pas cette condition. Un jeune poète qui se sacrifie à l’amour avec une passivité lyrique est une élégie, une ode vivante, c’est-à-dire un être de raison. Vouloir mourir, quels qu’en soient les motifs, n’est pas une passion dramatique, puisqu’une telle volonté exclut le combat et l’action : vouloir mourir parce qu’on n’espère plus rien de l’amour, c’est l’opposé du drame ; mais se laisser conduire à la mort comme une victime résignée d’un roman préconçu, comme un martyr se dévouant à un type d’amour introuvable, c’est être une sorte de Tibulle ou de Properce prenant au sérieux ses métaphores. Tel est le jeune Chastelard. Il est empruntée Brantôme, qui raconte ses témérités ; Boscosel de Chastelard tenta deux fois l’aventure de se faire aimer de Marie Stuart, et se cacha deux fois sous le lit de la reine d’Ecosse. Marie Stuart eut la légèreté de l’encourager et la cruauté de l’envoyer à la mort. Une sorte de conformité entre l’auteur et le personnage historique achève de faire de ce drame une longue élégie dialoguée qu’on pourrait mettre dans le volume des Poésies et Ballades, Chastelard était d’une illustre race, de la famille du chevalier Bayard, et il dit en mourant : « Si je ne suis pas sans reproche comme mon aïeul, comme lui du moins je suis