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délibération entre Méléagre et sa mère pour décider s’il est bon qu’une femme porte des armes, s’il est désirable que Méléagre ait une progéniture née de la chasseresse. On ne se figure pas, à cause de leur franchise trop primitive, des scènes dont le pathétique aurait pour base, non pas la colère de Diane, mais un sanglier ministre de cette colère ; détruisant les moissons, faisant des hécatombes de laboureurs, de bergers, de troupeaux. On se figure encore moins qu’un poète puisse sérieusement faire porter l’intérêt sur une dépouille de sanglier, sur des héros qui courent à la mort pour conquérir une peau de bête, et qui s’égorgent pour se l’arracher.

Si l’action n’est pas conservée fidèlement, on ne peut que la réduire, diminuer le nombre des incidens, donner plus de place à l’élément lyrique, rendre la tragédie plus simple encore qu’elle n’était entre les mains des artistes grecs. C’est ce qu’a fait M. Swinburne, et nous ne pouvons que l’approuver. S’il avait inventé d’autres incidens, il aurait compliqué son action, il aurait fait un compromis entre le théâtre antique et le théâtre moderne. Il serait retombé dans la tragédie à la manière française.

En conservant, en exagérant la simplicité de composition de la tragédie antique, M. Swinburne a obtenu deux résultats très remarquables qui lui font grand honneur. Le premier est l’heureuse harmonie de l’ensemble. Chose rare de notre temps, mais surtout en Angleterre, voilà une œuvre poétique où règne une belle unité. Cette unité est à peine celle de l’action, puisque l’action est si peu de chose ; c’est celle de l’impression annoncée au commencement, produite dans les parties successives, achevée et complète à la fin. L’auteur a laissé de côté les vicissitudes de la lutte, le choc des caractères, la fatalité des circonstances. La belle chasseresse apparaît entre le prince et sa mère, et le prince est perdu, voilà toute l’œuvre. Avec le tact d’un parfait scolar, il s’est gardé des scènes d’amour. Les anciens connaissaient à peine l’amour profond, idéal, délicat, qui est le produit de la civilisation moderne, et certainement ils jugeaient ce sentiment indigne de la scène tragique. Cependant, bien qu’on n’y trouve pas une scène d’amour, l’amour est le ressort de cette tragédie, et les femmes y ont les principaux rôles : une femme apporte la guerre dans Calydon, une femme prononce l’arrêt de mort et déchaîne la catastrophe. Cette unité de composition poétique atteindrait à la beauté sculpturale d’une tragédie grecque, n’était l’excès des images qui surchargent çà et là le style : il faut toujours payer tribut à son temps. Voilà pourtant une œuvre grecque, attique au milieu des abus de la liberté littéraire illimitée et sous le règne, pour ainsi dire, du drame et du roman à sensations, sensational literature. Sans doute il faut en savoir gré à