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comme on l’a vu peu de mois après, donner lieu à des complications si alarmantes, a-t-elle échappé alors à l’attention, à la prévoyance de notre diplomatie ? En s’en tenant à l’essentiel de la question, l’évacuation de la forteresse par les Prussiens, avec quelle facilité n’eût-on pas dû l’obtenir au moment où la Prusse recueillait le bénéfice de notre neutralité, où le sacrifice du droit de garnison dans une place devenue un objet d’art plus qu’un objet de guerre eût disparu pour elle dans l’éclat et le profit de ses soudains agrandissemens territoriaux ! A-t-on été de la part de la France oublieux ou imprévoyant, ou bien avait-on d’autres pensées et de plus vastes ambitions ? La dernière supposition est la plus probable. Il est de notoriété européenne que nous demandâmes davantage à la Prusse alors, et que nous espérions bien mieux d’elle. Le Luxembourg n’était qu’une minime fraction d’un accroissement de territoire et de population que nous comptions obtenir en nous avançant vers le Rhin. M. de Bismark avait-il avant la guerre amusé de cette espérance notre neutralité attentive ? Une chose certaine, c’est que rien n’avait été écrit, et que l’habile ministre prussien résistait aux engagemens écrits en disant que le roi son maître renoncerait à toute idée de guerre avec l’Autriche plutôt que de commencer par une aliénation de territoire allemand une entreprise qui avait pour prétexte populaire et patriotique la nécessité de rendre l’Allemagne plus grande et plus forte envers l’étranger. Notre réclamation fut présentée d’ailleurs avec une inopportunité dont les effets ont été récemment révélés ; elle fut la cause déterminante et immédiate des conventions secrètes conclues entre la Prusse et les états du sud, et qui consommèrent l’unité militaire de l’Allemagne. M. de Bismark avait formé la résolution de se montrer fort sévère envers les états du sud ; il avait reçu M. de Pfordten, qui venait invoquer sa clémence pour la Bavière, avec une sévérité inflexible ; il lui avait signifié que la Prusse enlèverait à la Bavière la Franconie. A l’instant où il eut connaissance des demandes françaises dont il ignorait encore si elles ne seraient point appuyées par des mesures coercitives, M. de Bismark changea tous ses plans sur les états du sud. Au lieu de les diminuer, il leur offrit et leur demanda l’union militaire. Il rappela M. de Pfordten, lui communiqua les demandes qui portaient atteinte à l’intégrité du sol germanique, fit appel à son patriotisme allemand, lui déclara que la Prusse serait généreuse envers la Bavière et lui laisserait la Franconie, et que tout devait céder à l’intérêt de la défense de la patrie commune contre les ingérences étrangères. Le ministre bavarois remercia avec effusion M. de Bismark, accepta avec toutes les formes de l’émotion reconnaissante l’hégémonie militaire de la Prusse, et se chargea de négocier pour la cour de Berlin des arrangemens identiques avec les autres états du sud. Ainsi était, accomplie l’union militaire de la Prusse avec les états du sud la veille même du jour où M. Drouyn de Lhuys, comme le Livre jaune nous en a conservé le monument documentaire, se félicitait avec une